Emily d’Angelo est une mezzo italo-canadienne de 28 ans issue du programme Lindemann Young Artist Development du Metropolitan Opera de New York. Elle a été applaudie cette saison à l’Opernhaus de Zurich où elle interprètait Ottavia dans Le Couronnement de Poppée, au Semperoper de Dresde en Angelina dans La Cenerentola, au Metropolitan Opera où elle incarnait Le Prince charmant de Cendrillon avant de devenir Donna Elvira à La Scala de Milan, Serse au Carnegie Hall et fait ses débuts à l’Opéra national de Paris dans le rôle de Rosina (Barbier de Séville). Très impressionnée par sa prestation en Siebel dans Faust le mois dernier à l’Opéra Bastille, l’auteur de ces lignes s’est réjouie de la découvrir dans le cadre du festival de Peralada qui fait chaque année la part belle au récital.
Le programme semble assez déroutant à première vue. Très engagé, il se concentre sur les compositrices femmes, des plus connues – comme Clara Schumann – aux plus contemporaines et parcourt plus de huit siècles de musique puisqu’il débute avec Hildegarde von Bingen. La majorité des partitions sont tirées du première disque de l’artiste, Enargeia.
Ici l’orchestre est remplacé par le piano incandescent de Sophia Muñoz, impeccable techniquement mais surtout sensible et passionnée, extraordinaire accompagnatrice de ce formidable duo.
Pourtant, l’introduction de musique médiévale laisse quelque peu dubitatif : l’air sonne étrangement accompagné d’un instrument si manifestement anachronique et la chanteuse débute la mâchoire crispée avec un soutien lacunaire sur certaines finales. Mais dès la seconde intervention – Erwartung puis Schenk mir de Schönberg – la magie opère. Emily d’Angelo, sans afféterie aucune, vêtue d’ailleurs d’une chemise blanche, d’un pantalon noir et de gros godillots, irradie de délicatesse amoureuse. Les piani sont délicieusement fragiles, les aigus pleins et brillants, habités.
© Miquel González
Down By the Sally Gardens de Rebecca Clarke met en valeur l’excellence de la diction anglaise, une grande tendresse dans le travail des couleurs et de beaux graves sonores qui s’épanouissent plus encore dans les deux morceaux de Sarah Kirkland-Snider qui suivent. Le passage a cappella de Dead Friend est particulièrement fort, rythmé par la pulsation silencieuse d’un cœur aimant où la voix pure et nue refuse toute coquetterie au point de terminer l’air en fredonnant. La même simplicité dans la manière de raconter fait merveille dans le formidable Nausicaa dont l’accompagnement merveilleusement perlé n’est pas sans évoquer l’impressionnisme français. La princesse phéacienne nous faisait pénétrer dans l’univers d’Ulysse et c’est avec le très beau Pénélope de Cecilia Livingston que se poursuit le voyage. La compositrice canadienne, spécialisée en musique vocale est artiste en résidence à l’Opéra de Glyndebourne. Elle exige beaucoup des deux interprètes qui se rient des difficultés, jouant de contrastes forte/pianisssimo et d’un legato discontinu pour structurer le texte avec beaucoup d’intelligence.
Clin d’oeil à Pénélope, le personnage suivant est une femme amoureuse qui pose sa broderie lorsqu’arrive enfin l’aimé, le Seal Man, qui nous ramène dans le giron de Rebecca Clarke avec cette mélodie à deux protagonistes où Emily d’Angelo déploie tout l’éventail des émotions possibles sans jamais forcer ni l’intention, ni la voix. Parfaite unité des registres, parfaite élégance du phrasé comme de l’intention, nous sommes transportés jusqu’à la fin de l’air où l’amoureuse se noie, créant une parfaite transition vers la Loreley de Clara Schumann. La logique narrative prévaut donc sur la chronologie, exigeant de l’auditeur un peu de souplesse mais achevant superbement cette première partie.
Le meilleur reste pourtant à venir. Revenant sur scène vêtue d’une robe tunique dont la ceinture n’est pas sans évoquer l’univers médiéval, l’artiste place désormais son travail sous le patronage de Teresa Berganza, disparue récemment. Cette seconde partie du programme se révèle beaucoup plus lyrique et l’artiste délaisse une certaine réserve pour s’enflammer toute entière dans un fabuleux Giovanna d’Arco de Rossini. L’unité des registres est formidable, le messa di voce de l’« Addio » tout simplement bouleversant tout comme la reprise pianissimo. La partition exige beaucoup de ses graves somptueux, comme de ses aigus voluptueux ou des vocalises naturelles et faciles. Le timbre fastueux se fait glorieux dans les passages héroïques comme « Viva il Rei ». La précision des contrastes entre des moments d’intériorité et l’explosion du pathos place cette maîtrise technique au service de l’expressivité de l’émotion pour un très grand moment de musique.
Tout au long de la soirée, la pianiste accompagne également la chanteuse de sourires ou de froncements de sourcils qui sont l’écho de son implication totale dans le processus musical. Avec Cuando el Amor Se Apodera de Chapì, elle se révèle aussi mutine que la mezzo qui joue des mains et de charme pour la première fois de la soirée avant de conclure d’un ébouriffant « Una voce poco fa », où ne se décèle aucune fatigue comme le prouvent encore les deux bis, un extrait des Gipsy songs de Dvořák, « song my mother taught me » ainsi qu’une zarzuela sensuelle où, une nouvelle fois, le piano fait autant merveille que la voix.