Au début de l’été 2015 la nouvelle était tombée, brutale, Dmitri Hvorostovsky souffrant d’une tumeur au cerveau était contraint d’annuler tous ses engagements jusqu’à l’automne. Aussitôt l’inquiétude s’était emparée de la planète lyrique et en particulier des nombreux admirateurs du baryton russe mais c’était sans compter sur sa solidité et sa force de caractère grâce auxquelles il semble avoir triomphé de la maladie. Dès septembre 2015 il effectuait son grand retour dans Le Trouvère sur la scène du Met ou le public l’a longuement acclamé. Puis, petit à petit, sa carrière a repris son cours normal, de New-York à Vienne en passant par Londres avec une halte à Paris pour un concert unique au Théâtre du Châtelet qui l’avait déjà applaudi en mai 2012.
Le programme, s’articule autour de mélodies de trois compositeurs russes Glinka, Rimski-Korsakov et Tchaïkovski que complète un bouquet de lieder de Richard Strauss parmi les plus fameux. Le baryton, élégamment vêtu d’une jaquette sombre, peut y déployer toute l’étendue de son art de diseur, alternant la tendresse, la mélancolie, le désespoir ou l’exaltation tout au long de ces textes aux multiples facettes.
Dès le premier air, « À Molly », le timbre de bronze et l’ampleur vocale de Hvorostovsky témoignent qu’il n’a rien perdu de ses moyens. Dommage qu’il se montre avare de nuances dans ces pages de Glinka dont la ligne mélodique s’inspire du bel canto italien. Elles permettent cependant à l’interprète de faire valoir un legato impeccable soutenu par une longueur de souffle infinie notamment dans « Qu’il est doux d’être auprès de toi ». Ce groupe de mélodies s’achève brillamment avec la romance « Bolero », au rythme syncopé, déclaration d’amour sur laquelle plane l’ombre de la mort.
Changement de climat avec Rimski-Korsakov dont les musiques sur des poésies de Pouchkine et Tolstoï sont empreintes d’une mélancolie toute slave que traduit à merveille la voix de Hvorostovsky aux inflexions baignées de tristesse et de nostalgie. A la gravité morbide de « Que t’importe mon nom » (Pouchkine) s’oppose la légèreté de « L’alouette chante plus fort que jamais » (Tolstoï) qui conclut cette partie sur une note d’espoir. La voix qui s’est chauffée se montre plus ductile et le baryton peut se permettre quelques demi-teintes bienvenues.
La seconde partie s’ouvre sur des pages de Tchaïkovski d’une facture plus complexe qui font la part belle au piano comme « Je vous bénis forêts », dont le texte est de Tolstoï. Hvorostovsky aborde cet hymne vibrant à la nature et à la fraternité avec une ferveur et une opulence vocale remarquables. Dans le « Le Rossignol » sur un poème de Pouchkine, le timbre se fait plaintif pour évoquer la tristesse du narrateur tout comme dans « Au milieu d’un bal bruyant ». La dernière romance, « Première rencontre » est chantée avec une allégresse communicative.
Dans les lieder de Strauss, la voix se déploie librement, ample et bien projetée. « Allerseelen »possède toute la gravité requise, « Zweinung », chanté avec exaltation, est couronné par un aigu triomphant, « Morgen » finement nuancé, permet au baryton de varier les couleurs sombres de son timbre, enfin « Cäcilie » au rythme plus allant déchaîne l’enthousiasme d’un public qui n’a hélas pas pu s’empêcher d’applaudir à la fin des airs – et même pendant « Morgen » – rompant ainsi l’unité de chaque groupe de mélodies.
Un seul bis pour terminer, le « Credo » de Iago, comme en 2012, chanté tout en force, sans la moindre subtilité, galvanise cependant l’auditoire.
Au piano le fidèle Ivari Ilja dont la complicité de longue date avec le baryton transparaît tout au long de la soirée est un accompagnateur attentif et efficace.