On les avait entendus plus qu’écoutés lors de la peu glorieuse exhibition musicale du 14 juillet, dont la splendide Marseillaise de Berlioz aura peine à se relever. Ils nous reviennent cette fois pour un récital de mélodies françaises plus appétissantes pour le mélomane que les séduisantes bluettes des Parapluies de Cherbourg.
Les œuvres sont connues et font, pour la plupart, partie du répertoire fondamental. Leur inscription au programme est à double tranchant : si le public, rarement curieux, adore retrouver ces pièces, le soliste s’expose à des comparaisons parfois cruelles*. De Natalie Dessay (o), nous avions écouté une bonne part des mélodies de ce soir, à Gaveau en mai dernier, avec Philippe Cassard. Si son bonheur de chanter était alors manifeste, ce soir, elle rayonne au côté de Laurent Naouri (+), plus attentionné que jamais.
Sans entrer dans le détail de chaque interprétation, soulignons d’abord la qualité constante de l’accompagnement de Maciej Pikulski, dosé avec subtilité, où la virtuosité se fait humble, au service exclusif de la musique et du chanteur. Les duos, dont certains rarement chantés (Delibes et Widor, de belle facture), sont toujours réussis et la complicité amoureuse n’y est pas étrangère. Jamais Natalie Dessay ne force, et ses couleurs, y compris dans l’aigu y sont appréciées. Par contre, si les qualités de comédienne de la soprano sont toujours bien présentes, il n’en va pas de même pour sa voix. Lorsqu’elle chante seule, l’émission naturelle demeure claire et séduisante, mais le moindre effort, la projection entraînent une altération pénible, dans le medium en particulier. Le timbre se fait quelque peu nasal, métallique, et perd son élégance, comme si elle chantait une chanson de variété. Les incises des mélodies de Fauré sont ainsi privées de leur séduction, de leur rondeur.
Laurent Naouri commence par Les Berceaux : une ligne de chant admirable, porteuse d’une émotion contenue. Et cette admiration ne faiblira à aucun moment. Une mention particulière pour Soupir, très retenu, où il surpasse peut-être le mythique Camille Maurane, et La vague et la cloche, d’un romantisme puissant, affirmé. Nous vivons ce drame. Le timbre est intact, la rondeur et la projection tout comme les pianissimi servent à merveille cette musique exigeante. Calligrammes nous comble. Laurent Naouri vit intensément les textes qu’il nous livre, avec pudeur et distinction. Quel grand chanteur !
Le public, acquis d’avance au moins à deux des trois grands artistes de ce soir, leur fait un triomphe que deux beaux bis viennent récompenser.
* Par exemple, avec Sophie Karthäuser, qui chantait ici même il y a peu, et dont le dernier enregistrement de mélodies de Poulenc a fait l’unanimité.