Ténor en état de grâce, Benjamin Bernheim a choisi d’arcbouter le programme de sa rentrée parisienne sur la mélodie. Le choix, sans concession à la facilité, est courageux mais est-il raisonnable ? Le genre mélodique, né dans l’intimité capitonnée des salons romantiques, a tôt fait de s’étioler lorsqu’il est transposé dans des salles pour lesquelles il n’a pas été conçu. Ainsi, le Poème de l’Amour et de la Mer, dépouillé de ses oripeaux symphoniques, peine à s’épanouir sous le globe de 15 mètres de diamètre du Théâtre des Champs-Élysées – fût-il confié à la plus belle voix du monde. Peut-être aussi parce que l’art de la mélodie, et plus largement du récital, exige davantage que l’excellence vocale : une capacité à dialoguer avec le public, ne serait-ce que par le regard. Happé par les sortilèges d’une musique suffocante, Benjamin Bernheim déambule dans la partition les yeux mi-clos, comme absent, au point de laisser au piano le privilège de la narration. L’odeur exquise des lilas, les feuilles mortes roulées par le vent, la mélancolie qui suinte derrière chaque note s’expriment à travers les doigts virtuoses de Mathieu Pordoy ; le chant, lui, paraît blême à force d’intentions. L’entracte prend par surprise, alors que l’on voudrait qu’une autre page de musique secoue la torpeur dans laquelle cette entrée en matière nous a plongé.
© Olivia Kahler
De retour dans la salle, le lyrisme de Duparc semble davantage de nature à placer la soirée sur orbite. On ne sait qu’admirer : la diction, réglée au millimètre près sur la parole, avec ses consonnes et ses voyelles alignées sans une faute de prononciation ; l’émission sanglée ; l’égalité des registres qui fait que la voix passe sans accroc du grave à l’aigu ; ou la mâle beauté du timbre. La complicité entre le pianiste et le chanteur se traduit après chaque numéro par force sourires, gestes et coups d’œil appuyés. Étrange sentiment que celui de se sentir moins spectateur que voyeur.
Si admirables soient ensuite les quatre Lieder de Brahms, notamment le recueillement céleste de « Immer leiser wird mein Schlummer », l’intérêt retombe. Ni Britten avec une utilisation judicieuse de la voix de tête, ni Bridge ne parviennent à remettre le train de l’attention sur les rails du plaisir.
Les bis devraient alors être le joker qui, en dépit d’une mauvaise donne, permet d’emporter la partie. Las, le « Voyage à Paris » est de trop courte durée pour mettre le feu à des barils qui ne demandent qu’à s’enflammer. L’air de Werther, déroulé comme un ruban avec des demi-teintes exquises et, à l’autre extrémité de l’échelle volumique, des notes supersoniques, n’est pas suivi du troisième bis que le public pourtant appelle à grand renfort d’applaudissements. Un geste de la main écourte les rappels.
Benjamin Bernheim étrennera le rôle de Werther dans son intégralité à Bordeaux en début d’année prochaine. Gageons que cette fois nous ne devrions pas rester sur notre faim.