« Du belcanto, La traviata ? Et pourquoi pas Tosca ?» A cette remarque sarcastique entendue après les bis généreux offerts par Xabier Anduaga et Jessica Pratt, le texte de présentation de ce concert contenu dans le programme de salle répondait à l’avance. Son auteur, Giancarlo Landini, réputé critique italien, rappelle le rôle essentiel tenu par Rodolfo Celletti – et donc par le festival de Martina Franca dont il fut le premier directeur – dans la renaissance du belcanto. Mais alors que pour ce dernier cet art du chant meurt avec les opéras de Rossini, quand le romantisme prétend rechercher une « vérité » dramatique, Landini soutient que le belcanto a perduré sur la plus grande partie du dix-neuvième siècle, même en se chargeant de « sensiblerie » (sic). Il incombe aux artistes à l’affiche, un ténor et une soprano, d’en faire la démonstration. Si elle est réussie, les spectateurs auront pu constater combien, par-delà les types de voix considérées, les difficultés techniques – trilles, roulades, notes piquées – sont les vecteurs polyvalents de l’expressivité. Ainsi, au-delà de la succession de pages devenues célèbres, ce concert est une occasion de méditer sur la notion même de belcanto.
Giulio Zappa et Jessica Pratt © clarissa lapolla
La réaction citée en tête le montre, l’habileté rhétorique de Giancarlo Landini n’a pas forcément convaincu les intégristes, mais ils n’ont pas terni l’euphorie du public qui a fêté longuement les interprètes, en particulier Jessica Pratt, par ailleurs la Zerbinetta de la version italienne d’Ariadne auf Naxos, à peine créée à Martina Franca. Nous ne décortiquerons pas les airs qu’elle a chantés. En ce soir de résurrection, dans l’espace de la cour dépouillée de sa tribune, où les chaises isolées semblent des pièces sur un échiquier géant, notre esprit est à la communion, non à l’intransigeance. Cela ne nous rend pas sourd à quelque savonnage ou à quelques fugaces stridences, mais ce serait marchander petitement notre admiration à une prestation de très haute volée. La voix de la chanteuse, peut-être grâce au repos forcé des derniers mois, semble avoir recouvré pleinement la fraîcheur rayonnante de ses débuts, avec des aigus presque tous purs et lumineux. Cocasse et virtuose Olympia, dans un français très intelligible, Adina piquante mais nuancée, Comtesse Adèle ciselée à l’humour irrésistible, Amina d’abord pitoyable, puis triomphante, Elvira vibrante et passionnée, Jessica Pratt illustre magistralement la thèse de Landini : les interprètes actuels, aux caractéristiques vocales souvent très différentes de celles des créateurs, sont nos passeurs vers le labyrinthe du belcanto.
Son partenaire, Xabier Anduaga, ne démérite pas. Certes, la contrenote à peine effleurée dans le duo des Puritani ne le sert pas, alors qu’il aurait pu la chanter comme à la création en voix de tête, mais peut-elle ruiner un « Cessa di più resistere » de qualité, un « Ah mes amis » émis avec vigueur et brillant, un Nemorino justement sensible et un Arturo aiguillonné par l’urgence ? Assurément non. Simplement, et encore une fois le texte de Landini nous y invite, revenir aux origines des rôles permet de mieux apprécier l’apport des interprètes contemporains au phénomène du belcanto.
Giulio Zappa est assez connu des amateurs pour que son nom soit un label de qualité pour une présence pianistique qui est un partenariat à part entière. Il confirme évidemment cette réputation et recueille lui aussi un très vif succès aux saluts. L’insistance du public lui vaudra trois bis : la tarentelle de Rossini aussi brillante que possible par le ténor, l’air de Violetta « Follie» avec en coulisse un Alfredo des plus sonores et enfin le Brindisi de La traviata. La discussion reste ouverte : ces bis étaient-il pertinents compte tenu de l’intitulé du concert ? Peu importait au public, dont la joie bruyante et communicative amenait les artistes rayonnants à renoncer à la distanciation. Ah mes amis, quel soir de fête !