Le Lied préfère à l’or des théâtres ou au confort spacieux des auditoriums la simplicité de lieux plus intimes. Il ne faut pas voir d’autres raisons au choix qu’a fait le Kissinger Sommer de programmer le récital de Christoph Prégardien dans la vieille chapelle du monastère Maria Bildhausen, non pas église sombre et humide où la musique résonne comme dans une grotte mais temple à l’acoustique pure, transpercé de fenêtres par lesquelles s’engouffre gaiement la lumière. Le monastère est situé à une vingtaine de kilomètres de la ville ; la chaleur de l’après-midi est pesante – l’orage d’ailleurs éclatera peu après – mais ni la distance, ni l’heure indue pour un concert (15h un samedi après-midi) n’ont dissuadé le public de venir nombreux. Il ne reste plus une chaise de libre.
Le programme convoque quelques-uns des plus grands noms du romantisme allemand auxquels s’ajoute celui, plus contemporain, de Wilhelm Killmayer, compositeur né en 1927 à Munich et toujours en vie.
Considéré à juste titre comme une des plus belles réussites de Ludwig van Beethoven dans le genre mélodique, An die ferme Geliebte (à la bien-aimée lointaine) ouvre le récital. Pour renforcer l’impression d’unité, Siegfried Mauser, prend le parti d’enchainer les six pièces sans ménager ne serait-ce qu’une respiration entre chacune d’entre elles, conformément à l’esprit du cycle, voulu par le compositeur comme une sorte de course à l’abîme. D’emblée, Christoph Prégardien use de la douceur d’un timbre dont il sait à merveille varier le coloris pour imposer une atmosphère d’abord mélancolique puis de plus en plus animée au fur et à mesure que le poète choisit de s’identifier à la nature, seule issue trouvée à l’insupportable absence de la bien-aimée.
Avec Liederkreis composé en 1840 par Robert Schumann le ténor aborde une œuvre plus connue. D’où peut-être la volonté de ménager encore davantage les effets. Dans « In der Fremde », aucune phrase n’est chantée de manière identique. « Die Stille » est pris sur la pointe de la voix. Là (« Schöne Fremde »), le ton se fait narquois comme si l’ivresse du bonheur promise par le poème n’était qu’un leurre ; ici (« Zwielich ») le son s’éteint pour donner à ressentir le trouble du crépuscule. Les intentions sont différentes à chaque phrase sans que le souci d’expression ne vire au procédé ou ne contredise la ligne.
Après l’entracte, l’attaque a capella de « Emma I », le premier Lied du le cycle de Wilhelm Killmayer, Das ist menschlich, prend par surprise. L’œuvre est familière aux deux interprètes qui l’ont enregistrée ensemble en 2002. La complicité, déjà évidente, devient fusionnelle. L’écriture originale de ces pièces cyclothymiques, tantôt ironiques, tantôt romantiques, le plus souvent tonales, est soulignée par l’humour dont voix et piano savent faire preuve, en jouant notamment des silences. Christoph Prégardien visiblement s’amuse. Le geste est plus détendu et varié quand, dans la première partie du concert, l’attention portée à l’interprétation musicale semblait avoir figé le mouvement du corps et des mains. Complice, le public pouffe, s’esclaffe puis, pris de gaité, oublie tous les usages pour applaudir, avant la fin du cycle, la chute de « Meine gute, liebe Frau ».
Puis viennent les extraits de Schwanesang (le chant du cygne), pris dans le désordre. Christoph Prégardien écarte le pupitre. Ces partitions sont gravées non seulement dans sa mémoire mais aussi dans son cœur. Comme précédemment il y a cette conjonction unique de lumière, de couleur, de contraste et d’expression. Il y a aussi, indispensable, l’entente avec le piano de Siegfried Mauser. Il y a aussi ce choix étrange d’achever le récital par « Der Atlas », plainte du géant condamné à porter le monde sur ses épaules, pièce si lyrique – l’air pourrait être d’opéra –, si dramatique avec cette note finale hurlée sur le mot « Schmerzen » (douleur), si grave que l’on s’interroge sur le sens d’un message dont deux autres mélodies de Schubert plus légères, offertes en bis, viennent chasser l’amertume.