Au fil des ans, le Musée d’Orsay et son petit auditorium sont devenus l’étape parisienne la plus familière pour Bernarda Fink. L’intimité des lieux sied autant à un art tout en sobriété qu’à une voix accusant désormais une certaine fatigue et quelques blancheurs : les pièces de Schubert données en ouverture de programme au lieu de l’Arianna a Naxos de Haydn initialement prévue ménagent d’ailleurs un début en douceur, où l’instrument peut se chauffer sans s’éprouver. « Auf dem See », au contact de cet instrument mûri, ne nous plonge certes pas dans les affres d’un romantisme échevelé, pas plus qu’il ne faudra chercher, dans « Auf der Riesenkoppe », quelque illustration sonore du Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich. Ce Schubert qui tient la main à Mozart plus fermement qu’il n’ouvre la porte à Schumann s’épanouit dans « An die Nachtigall », superbe pièce de jeunesse qui rayonne ici dans tout l’éclat de son classicisme crépusculaire.
On aurait pu attendre un contraste total avec les pièces de Wolf programmées juste après ; c’est pourtant le mot « classicisme » qui, une fois de plus, s’impose quand il s’agit de décrire les plaintes énamourées de « Wunden trägst du » ou l’éveil sensuel de « Bedeckt mich mit Blumen », interprétés ici avec une économie de moyens sachant éviter toute tiédeur, quand elle révèle avec tellement d’évidence les trésors d’harmonie déployés par cette écriture incomparable. Si la souplesse de la voix est mise à l’épreuve dans les lignes heurtées « Die Ihr schwebet um diesen Palmen », les miniatures extraites de l’Italienisches Liederbuch dévoilent tout sans rien montrer, portées par un sens des mots comme celui-là, qui n’a rien besoin d’appuyer, pas même les effets comiques de « Mein Liebster hat zu Tische mich geladen ». Au piano, Roger Vignoles s’amuse en singeant les arpèges boiteux d’un piètre violoniste, mais qu’on ne s’y trompe : ce pianiste anticipe et épouse la moindre inflexion de la voix, seconde d’instinct chaque moirure du timbre, confirme en somme que les grands accompagnateurs sont inestimables.
Cet art de Bernarda Fink, celui de la sobriété et de l’universalité des œuvres, qui les embarque toutes dans une même esthétique faite de probité rigoureuse, ne risquait-t-il pas d’aplanir les pièces plus typiques prévues en deuxième partie ? Dvorak, Rodrigo et Ginestra, chantés ainsi, pourraient certes ressembler à de lointains cousins, unis par ce mélange de latinité et d’esprit germanique mâtiné d’influences slaves qui est peut-être l’incarnation d’un certain style européen. L’art, si maîtrisé, le goût, tellement exquis, restent incomparables : on guettera la prochaine étape parisienne !