Comme à la Philharmonie de Paris lundi dernier, Anja Harteros était bien là au Festspielhaus de Baden-Baden ce dimanche. De quoi nous rassurer amplement, puisque non contente d’être physiquement au rendez-vous, la grande artiste se montre également en pleine possession de ses moyens vocaux. Et c’est avec le même programme qu’elle enchante une salle au public étonnamment clairsemé, ce qui est bien dommage pour les absents. Il faut dire que les Wesendonck Lieder lui vont bien au teint. La belle allemande d’origine grecque est dotée d’une prestance naturelle doublée d’un potentiel de tragédienne habilement exploités. Et l’on a bien du mal à détacher ses yeux de cette diva sculpturale et hiératique qui pourtant, ne se départ jamais de sa simplicité.
C’est presque en état d’apesanteur qu’elle nous offre les cinq lieder wagnériens, ciselés et modelés à merveille grâce à une diction irréprochable et un phrasé précis, le tout d’une noble élégance. Entre exaltation, lassitude et détermination tranquille, l’interprétation experte de la soprano s’impose comme une évidence. À peine lui reprocherait-on, ici et là, un nuancier trop peu ample, quoique les accents de « Schmerzen » (les douleurs), sombres et puissants, contrastent fortement avec les « Traüme » (rêves) finaux, dans une succession d’effets de plus en plus contenus et l’extrême intériorisation finale, comme un calice bu jusqu’à la lie, de « Und dann sinken in die Gruft » (puis s’enfoncent dans la tombe). Magistral. Cependant, alors qu’on se languit d’une suite, voilà déjà qu’arrive le bouquet final, c’est-à-dire les fleurs offertes à chaque interprète en fin de récital. Certes, la performance d’Anja Harteros touche au sublime, mais on aurait tant aimé l’écouter encore…
Contrairement à Paris, ce n’est pas Valery Gergiev, pourtant habitué du Festspielhaus dont il est l’un des chefs fétiches, qui accompagne ce soir la soprano, mais le jeune chef Gustavo Gimeno, à la tête d’un Orchestre Philharmonique du Luxembourg à l’effectif tout à fait impressionnant (près d’une centaine de musiciens). Le concert commence avec l’Ouverture de Tannhäuser agrémenté de la Bacchanale. Si les ensembles séduisent par leurs couleurs, une certaine raideur, un caractère martial et une sensualité en berne gâchent néanmoins un peu le plaisir. En revanche, le chef et l’orchestre accompagnent admirablement Anja Harteros au cours des Wesendonck Lieder. Après la pause, le concert se poursuit avec deux œuvres de Debussy dont on imagine que ce dernier a surtout été choisi parce qu’on fête cette année l’anniversaire de sa disparition. Ibéria permet de mettre avantageusement en valeur les percussions. Quant à La Mer, effectif maximal de l’orchestre oblige, c’est une déferlante sonore qui s’abat sur le public du Festspielhaus dans la troisième partie, « Dialogue du vent et de la mer », pas franchement subtile ni impressionniste, mais franchement puissante. Les éléments déchaînés évoquent, sans conteste, une véritable tempête d’où surgirait un monstre marin qu’on entendrait gronder depuis les profondeurs. On sort heureusement sain et sauf, bien au sec, de cet embrun, un rien sonné tout de même…