Il en est ainsi de quelques rares artistes lyriques qui avancent dans la carrière en maintenant une constance dans la qualité de leur chant. Andreas Scholl appartient à cette classe rare. Savant équilibre entre naturelle aisance et maîtrise technique jamais prise en défaut ? Oui mais pas seulement. L’art de Scholl ne se limite pas à une fonctionnalité aussi contrôlée soit-elle. Il est d’abord inspiré. En témoignait son récital de « Musiques au temps de Shakespeare » donné dans le cadre du programme Grandes Voix à l’Opéra de Clermont par le Centre Lyrique. Sa capacité à donner vie au répertoire passe par l’émotion vécue, par l’expression des sentiments dont il se fait le passeur. Dispositions qui s’imposent particulièrement dans Purcell et plus encore à travers cette pièce emblématique qu’est « Music for a While ». Scholl en traduit toute la pudeur et l’intensité de l’émotion contenue, en déployant toute une gamme de teintes raffinées. On retrouve chez lui ce plaisir à extravertir en quelque sorte une musicalité très sûre qui est sa signature. Mais la vocalisation, véloce et ductile, fuit toute démonstrativité factice. Il se donne entièrement à cette intelligence dramatique que légitime une belle compréhension de la prosodie de la langue anglaise et tout spécialement du chant élisabéthain.
L’émission reste ferme dans des aigus limpides d’une plénitude et d’une distinction exempte de toute affectation. « Recollection » de Haydn est aussi un bel exemple de la spontanéité et de la profondeur méditative dont il est capable. Le timbre, intense et ferme dans le haut du registre, n’accuse pas la moindre pâleur sur les lignes filées de « I will give my love an apple » caractéristiques autant par leur lenteur que par leur longueur. L’esthétique d’un Scholl trouve sa parfaite plénitude dans la noblesse du chant incarnation au plus haut point la beauté de l’expression. Le tout soutenu par une lisibilité totale et un art accompli de la théâtralité que subliment l’humour de « I care not for these ladies » de Thomas Campion ou les rythmes enjoués de « Come again » de Dowland.
© Thierry Lindauer
Les teintes restent toujours d’une parfaite délicatesse y compris lorsqu’il passe sans rupture en voix de poitrine dans « My love is like a red, red rose ». Plus que l’élégance des vocalises sur l’Hallelujah final de « An evening hymn » de Purcell, les vertus qui séduisent chez ce contre-ténor d’une remarquable stabilité de timbre, ce sont la sincérité et le charisme. Que ce soit dans le registre classique – « The wanderer » de Haydn – ou les folksongs – Waly, Waly –, Scholl se distingue par ce mélange de spontanéité et de séduction d’une émouvante franchise. Précision et vitalité du chant ne perdent jamais de vue que sans un très sûr instinct poétique ce type de répertoire se réduirait à un bien prosaïque exercice de style. Et ça, Scholl en fait sa règle d’or.
Le toucher aux souplesses félines de Tamar Halperin épouse le chant et se confond à la phrase vocale avec un naturel et un respect d’une probité stylistique étonnants. On peut saluer sans réserve la qualité d’un tel travail. Le résultat en est une parfaite complicité d’objectif et un partage de sensibilité qui mérite d’être souligné.