Deux fois Pygmalion de Rameau à quelques mois d’intervalles, et deux visions aussi diamétralement opposées que possible. A Versailles, du néo-classique sans grande imagination, à Lille (après Dijon la saison dernière), une transposition « résolument moderne », avec cette tarte-à-la-crème de la mise en scène d’aujourd’hui : les vidéos réalisées en direct sur la scène même et projetées sur écran. Sculpteur, Pygmalion ? Vous n’y êtes pas du tout, c’est un vidéaste, qui crée à partir d’images filmées. Soit, mais encore faudrait-il pour qu’il y ait un tant soit peu de magie, que l’image s’anime d’elle-même, indépendamment du vouloir de son créateur. C’est peut-être ce qu’on tente de nous montrer ici, mais la chose n’est pas franchement limpide, après l’Artiste ne semble pas s’intéresser longtemps à ce modèle bien vivant dont on se demande pourquoi il ne l’avait pas encore mis dans son lit jusque-là, puisque rien ne s’y opposait. Ensuite, Robyn Orlin donne dans la satire du monde de l’art : l’atelier de Pygmalion accueille une foule de beautiful people branchouilles, clope au bec pour la plupart, qui viennent siroter du champagne en admirant les dernières créations du maître. Entracte. En deuxième partie de soirée, on a eu l’excellente idée de proposer le troisième acte d’une œuvre de Mondonville naguère enregistrée par Christophe Rousset, Les Fêtes de Paphos (1758). A côté de cet « Amour et Psyché » riche en rebondissements, l’acte de Rameau fait figure de bluette naïve, avec son livret un peu pauvre et ses personnages trop peu développés (heureusement que cette misère littéraire n’a jamais empêché le Dijonnais d’écrire de l’excellente musique). Pour Mondonville, la production paraît en revanche franchement à court d’idées. La vidéo est cette fois utilisée pour feindre un tournage, un double tournage avec d’un côté les chanteurs, de l’autre les danseurs, présents depuis le début de la soirée (et un peu envahissants dans Pygmalion hors du long ballet final). La projection des images composées grâce au différentes sources – un danseur-caméraman tourne lui aussi une vidéo supplémentaire mélangée aux deux autres – aboutit à ce paradoxe : du direct, certes, mais qui éloigne totalement des chanteurs puisque l’œil est forcément bien plus attiré par l’immense écran en fond de scène, avec ses compositions souvent kitschouilles à base d’incrustations bizarroïdes. Le rapport direct spectateur-chanteur est perdu, surtout quand les artistes disparaissent en coulisses afin d’occuper la place voulue pour que leur image apparaisse à l’écran.
© Gilles Abegg – Opéra de Dijon
Emmanuelle Haïm adhère assez à ces partis-pris pour se plier au jeu : vêtue de rouge comme tous les instrumentistes de son Concert d’Astrée, elle est elle-même filmée, comme tout l’orchestre, et parfois projetée sur un des écrans. Après avoir conféré à Rameau une énergie quasi martiale, qui éloigne un peu Pygmalion de la pastorale, elle trouve en Mondonville une partition à sa mesure, avec force contrastes, scènes infernales et enjeux autrement plus dramatiques.
Hélas, la distribution n’est que partiellement à la hauteur de ces ambitions. Du côté des messieurs, c’est un sans faute. Reinoud van Mechelen fait preuve d’une fort belle expressivité dès la première intervention de Pygmalion, et malgré une virtuosité sans faille dans les airs, la solidité de sa voix dans le grave évite de rendre le sculpteur trop éthéré ; sa composition scénique s’avère tout aussi réussie. En deuxième partie, Victor Sicard rafle la mise avec une inénarrable furie à la Conchita Wurst, et une incarnation constamment percutante d’un bout à l’autre de sa tessiture. On est hélas nettement moins enthousiasmé par les dames. Armelle Khourdoïan est sans doute celle qui s’en tire le mieux : elle confirme son adéquation avec le répertoire baroque, déjà constatée lors de son passage par l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris, avec une belle fermeté d’articulation dans le grave, même si la diction perd de sa netteté dans l’aigu. Magali Léger reste l’artiste attachante que l’on a connue, mais la voix s’effiloche et semble perdre de sa matière à mesure que l’on s’élève sur la portée. Grande déception enfin avec Samantha Louis-Jean, qui dément l’idée que les Québécois chantent mieux le français que nos compatriotes : on ne comprend pas un mot de son texte, la voix étant tout à fait dépourvue de contours et se bornant à émettre des voyelles un peu floues. Par chance, le chœur du Concert d’Astrée s’en donne à cœur joie dans ses différentes interventions, bien plus nombreuses et gratifiantes chez Mondonville. Le public semble finalement plus sensible au dynamisme des chorégraphies qui concluent « L’Amour et Psyché » et un bis est spontanément offert par l’orchestre pour répondre à l’enthousiasme de la salle.