Deux critiques assez contradictoires ont déjà ici abondamment décrit et commenté la nouvelle production de Pierre Audi (voir le compte rendu de la première distribution par Yannick Boussaert et de la deuxième par Christian Peter).
Sans entrer dans les détails d’implantation de décors, de direction d’acteurs, ou encore de choix esthétiques souvent judicieux voire audacieux, il s’agit selon nous d’un travail théâtral qui sans trahir l’œuvre, sans heurter la vue — et surtout, sans importuner le chant — sort des sentiers battus. Précédemment, la direction de Daniel Oren avait quasiment fait l’unanimité contre elle. Evelino Pidò vient de reprendre la baguette jusqu’à la fin de la série. Attentif aux chanteurs, le chef italien, souvent taxé de précipitation et de manque de rigueur, s’applique à mettre en valeur toute la force narrative de la partition de Puccini avec ses subtilités, ses contrastes, ses tensions. Sous sa direction enthousiaste et amoureuse de cette musique, l’excellent Orchestre de l’Opéra national de Paris déploie ses beautés instrumentales avec un plaisir évident.
Cette troisième distribution est presque entièrement nouvelle. Le ténor français Eric Huchet est parfaitement à l’aise dans Spoletta et la remarquable basse italienne Carlo Cigni donne tout son poids dramatique au rôle furtif d’Angelotti. Sans doute desservi par une voix au volume sonore trop petit pour le grand vaisseau de Bastille, la basse bouffe belcantiste Luciano di Pasquale rend inexistant le rôle du sacristain vif et malin qui se doit d’animer le premier acte par petites touches. Dommage.
Le physique de jeune premier de Massimo Giordano rend Caravadossi suffisamment séduisant pour crédibiliser la passion jalouse de Floria Tosca. Cependant son timbre demeure assez fade dans le medium et les aigus manquent de punch. Dans ces conditions, « Recondita armonia » peine à emporter le cœur des spectateurs. Heureusement, le ténor se rattrape in extremis avec un « E lucevan le stelle » délicatement interprété.
Traître de service et expert en cynisme, Sergey Murzaev, baryton russe aux amples moyen vocaux, n’en est pas à son premier Scarpia in loco. Bien servi par une mise en scène qui le présente de manière assez subtile, il joue finement et chante sa partie abjecte avec sobriété. Son autorité naturelle, rendue ici plus humaine que d’habitude, fait de lui le partenaire idéal de la Tosca déchirante que nous offre Béatrice Uria-Monzon à partir du deuxième acte. Si la mezzo-soprano française est loin de s’imposer d’emblée durant la première partie où on la sent trop frêle pour une diva et un peu en retrait pour une passionaria, elle s’affirme ensuite jusqu’au poignant dénouement, la plus ardente, la plus aimante, la plus déterminée des femmes. Si petite soit-elle par sa taille, grâce à la voix émouvante qui est la sienne, son « Vissi d’arte » vibrant, chanté sans aucun artifice, est digne de figurer au panthéon des grandes Tosca.