Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Cosi fan tutte o La Scuola degli Amanti
Dramma giocoso en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart
Livret de Lorenzo Da Ponte
Production de l’Opéra National du Rhin (reprise)
Mise en scène originale, David McVicar
Metteur en scène associé, Chris Rolls
Décors, Yannis Thavoris
Lumières, Paule Constable
Costumes, Tanya McCallin
Mouvements, Leah Hausman, Andrew George
Fiordiligi, Jacquelyn Wagner
Dorabella, Stephanie Houtze
Despina, Hendrickje Van Kerckhove
Guglielmo, Johannes Weisser
Ferrando, Sébastien Droy
Don Alfonso, Peter Savidge
Chœurs de l’Opéra national du Rhin
Orchestre symphonique de Mulhouse
Direction musicale, Ottavio Dantone
Strasbourg, 11 décembre 2009
Prenez-les comme elles sont !
La reprise à l’Opéra du Rhin du Cosi de David McVicar confirme les qualités de cette production. La lecture de l’œuvre est claire, limpide même, bien que n’allant pas de soi. On sait combien cette œuvre est difficile à mettre en scène de nos jours car le public est plus exigeant quant à la psychologie des personnages. Il n’accepte plus aussi facilement la vision simpliste (mais non dépourvue d’humour) d’un Jean-Pierre Ponnelle par exemple, qui, dans les années soixante-dix/quatre-vingt, faisait des deux couples d’amants, objets de l’expérimentation d’Alfonso, des personnages superficiels et peu intelligents, parfois ridicules en ce qui concerne les deux jeunes filles interprétées par des femmes déjà mûres. Comme dans de nombreuses autres interprétations, encore très courantes aujourd’hui1, ces proies trop faciles se laissaient mener par le bout du nez sans faire travailler leur cervelle et s’engluaient comme des mouches dans le piège tendu.
Ce qui caractérise la collaboration Mozart/Da Ponte, c’est la complémentarité livret/partition qui fait dire à la musique ce que le texte ne dit pas et vice-versa, ou encore qui permet de faire pencher la balance du bon côté quand le texte est à double sens. En voici un exemple, au deuxième acte : lors de leur promenade hors scène, Fiordiligi et Ferrando ont éprouvé les affres d’une passion grandissante. Après un combat cornélien contre eux-mêmes, ils s’éloignent l’un de l’autre. Restée seule, Fiordiligi nous confie son drame de conscience, tout à fait dans l’esprit du Sturm und Drang. S’avouant enfin la puissance de l’amour qu’elle porte désormais à Ferrando, elle s’accuse de trahison et éprouve un profond mépris pour sa propre inconstance, son texte colle à la musique et ne prête à aucune équivoque. Il n’en est pas de même de Ferrando qui, apprenant la trahison de Dorabella, clame sa révolte et sa douleur d’avoir été bafoué, puis, par un effet de rupture, avoue l’intensité de son amour. L’objet de cet amour ? C’est la musique seria de son air, parente de celle de Fiordiligi, qui nous renseigne. Du même coup, le conseil final d’Alfonso, devant le désespoir des deux amants, ne prête plus à équivoque : « Pigliatele com’elle son’ (épousez-les comme elles sont) ! » fait allusion au présent, et non au passé (elles ne sont plus ce qu’elles étaient). C’est cela qu’a mis en scène Mc Vicar, et sa conclusion va de soi : on célèbre les noces des deux nouveaux couples. Le public, enfin libéré d’un malaise qui n’a cessé de grandir durant le second acte, applaudit avec conviction.
David Mc Vicar a l’habitude de s’entourer d’une équipe de collaborateurs. A Strasbourg, il a conçu une dramaturgie fondée sur une connaissance approfondie de la partition de Cosi fan tutte, évitant le piège de la misogynie, et a mis en scène avec une grande sensibilité cette Ecole des Amants. Les six personnages sont fort à propos incarnés par des chanteurs ayant l’âge du rôle. Le metteur en scène a mis en valeur la jeunesse et la vulnérabilité des jeunes gens mais aussi leur grandeur d’âme (Fiordiligi et Ferrando) et leur sensualité (Dorabella et Guglielmo). Son Don Alfonso est un philosophe des Lumières et sa Despina, libérée des conventions, préfigure Zerbinetta. Il a laissé à Leah Hausman la conception et la réalisation des beaux mouvements scéniques, en particulier ceux des six figurants, lesquels agissent en lieu et place du chœur qui chante hors scène ou dans la fosse. Le metteur en scène associé Chris Rolls, qui a effectué la reprise2, s’est très bien acquitté de sa tâche, la direction d’acteurs est impeccable, tout comme les mouvements sur le plateau, toujours équilibrés, réalisés par Andrew George pour Leah Hausman.
Les éclairages « affectifs » de Paule Constable mettent en valeur la psychologie des personnages tout comme le beau décor, symbolique pas plus qu’il n’en faut, de Yannis Thavoris. Les différents tableaux s’enchaînent librement à vue, les cloisons s’ouvrant sur la mer par deux grandes portes-fenêtres, parfois closes, ou s’envolant vers les cintres pour laisser place à une jetée encadrée par deux grands rochers. Ces derniers, symboles de la constance de Fiordiligi3, se volatiliseront en éclats à la fin de l’histoire.
Les six chanteurs articulent parfaitement leur texte si bien que les italianisants n’ont pas besoin de consulter le surtitrage. Vocalement, c’est Sebastien Droy qui domine la distribution. Son excellente technique, son homogénéité vocale, sa grande palette de nuances mettent en valeur le velouté si séduisant de son timbre et contribuent à faire de lui un Ferrando de grande classe. Il semble que la technique de Johannes Weisser en Guglielmo ne soit pas aussi sûre, il a tendance a détimbrer son parlando et la voix manque d’homogénéité, jusqu’à son deuxième air où il donne enfin sa mesure, qui est grande. La voix au joli timbre clair de Jacquelyn Wagner, un peu verte au début, est trop légère pour le rôle mais sa Fiordiligi spirituelle, sensible et forte, reste très attachante. Stephanie Houtzeel campe une Dorabella à la sensualité volcanique. Son mezzo intéressant est nettement plus large, ce qui n’empêche pas l’équilibre entre les deux voix, résultat d’une bonne préparation musicale. Bonne prestation de Hendrickje Van Kerckhove en Despina, à l’humour irrésistible. La voix, un peu trop « soubrette » au début (la scène du petit déjeuner à cet égard est presque caricaturale), prend couleur et volume au fur et à mesure que son personnage évolue. Quant à Peter Sadvige, pourtant excellent scéniquement, il semble avoir perdu tout timbre et écorche les maigres ariosi confiés au personnage.
Une mention honorable pour Ottavio Dantone dont les tempi sont excellents. Une ombre au tableau : la sécheresse des cordes, par moments, et le manque de rondeur de l’orchestre qui proviennent de la détermination du chef à rechercher à tout prix les sonorités de l’orchestre baroque. Dommage !
Elisabeth Bouillon
1 A vrai dire, il y avait de cela, aussi, dans l’interprétation de Claus Guth l’été dernier à Salzbourg, mais dans un contexte infiniment plus intéressant et travaillé, où les deux personnages qui tenaient les fils étaient diabolisés. On attend avec impatience qu’il retravaille son interprétation, pour les prochains Salzburger Festspiele.
2 David Mc Vicar a termniné le travail la dernière semaine des répétitions.
3 Texte du début du premier aria : « Come scoglio immota resta contra la tempesta, così ognor quest’alma è forte nella fede e nell’amor (telle un rocher qui reste inébranlable durant la tempête, mon âme demeure toujours forte, dans la fidélité comme dans l’amour). »