Chaque année, le Conservatoire de Paris impose à ses élèves de monter une œuvre lyrique dans son intégralité, exercice excellent mais difficile. Ces dernières années, on a ainsi pu voir successivement Echo et Narcisse de Gluck en 2012 et La Ronde de Philippe Boesmans en 2013, œuvres pour lesquelles il n’existe pas nécessairement de référence très présente dans l’oreille des spectateurs. Avec Mitridate, on s’éloigne un peu de ce type d’opéra, puisqu’il en existe de très bonnes versions au disque et en DVD. Quant à faire le parallèle entre la jeunesse du compositeur (Mozart avait en effet quatorze ans lorsqu’il reçut la commande de cet opera seria) et celle des interprètes, c’est une entreprise quelque peu hasardeuse : la musique qu’il écrivit était destinée à des professionnels confirmés, en fonction de leurs exigences et pour leur permettre de briller de leur mieux. N’est-il pas un peu risqué d’y lancer des chanteurs qui sont tout juste à l’aube de leur carrière ?
Peut-être le choix de l’œuvre s’est-il fait autour des possibilités vocales du ténor Enguerrand de Hys, qu’on a déjà pu entendre dans Les Noces de Figaro et Don Giovanni à Bastia et qui campait l’an dernier sur cette même scène un Jeune Homme ridicule à souhait dans Reigen. On le retrouve métamorphosé en père noble, et son premier air laisse un peu dubitatif : s’il a bel et bien les aigus des lignes en dents de scie conçues pour Mozart pour Guglielmo d’Ettore, la voix semble en revanche manquer de projection et peiner à se faire entendre. Pourtant, cette impression se dissipe assez vite, et force est de saluer cette belle performance. Le reste de la distribution est clairement dominé par la mezzo Eva Zaïcik : là aussi, on s’inquiète d’abord d’une certaine timidité, malvenue chez le « méchant » Pharnace, mais dès « Venga pur, minaccia e frema », la reprise du da capo lui permet de donner plus de vie au texte, d’animer son personnage, et la beauté du timbre fait le reste. En Aspasie, Jeanne Crousaud propose une voix corsée, qui contraste agréablement avec le timbre plus limpide de Laura Holm, qu’on avait notamment admirée dans La Vierge de Massenet à Notre-Dame. Beaucoup plus pâle s’avère le Xipharès d’Anne-Sophie Honoré, tandis que la belle prestance scénique de David Tricou ne fait pas oublier les difficultés que semble lui poser la vocalisation rapide. Elisabeth Moussous est un Arbate sonore, auquel on regrette que la partition n’offre pas davantage à chanter.
Emmené par la baguette experte de David Reiland, l’orchestre du Conservatoire de Paris livre une belle prestation, mais l’on déchante face au spectacle réglé par Vincent Vittoz, qui n’a pourtant rien d’un débutant en la matière. Le principe directeur de sa mise en scène est la présence de sept danseurs, « prolongement corporel » censé apporter « une fureur palpable à l’urgence de ces passions » dont le jeune Mozart n’aurait prétendument pas toujours su exprimer toute l’intensité. Hélas, cela revient le plus souvent à parasiter la musique, puisque ces danseurs-figurants omniprésents s’agitent surtout pendant les arias, et l’on ne perçoit pas toujours la pertinence de leurs mouvements vaguement sellarsiens. Le décalage de la chorégraphie d’Antoine Arbeit par rapport au chant apparaît clairement lorsque, une fois l’opéra terminé et les chanteurs disparus en coulisses, les danseurs continuent leurs mouvements rythmiques en silence… Les décors, d’inspiration mi-XVIIIe mi-orientale, comme dans le spectacle de Graham Vick à Londres (DVD Opus Arte), sont assez beaux, mais tout se joue dans une absence de décor, le trône de Mithridate étant le seul accessoire avec quelques chaises modernes. Ce n’est pas laid, mais c’est un peu maigre, et cela n’aide guère à s’intéresser à l’action.