Le 16 octobre dernier a eu lieu l’ouverture de saison de l’Académie Sainte Cécile de Rome. Pour commémorer l’événement, la célèbre institution italienne a confié la soirée à son directeur musical, le chef américain Antonio Pappano qui a choisi de diriger Guillaume Tell de Rossini, dans sa version française d’origine.
Rarement donné, cet opéra l’est avant tout en raison des tessitures hors du commun qu’il requiert, mais aussi du rôle considérable dévolu à l’orchestre. Autant dire que pour une telle soirée, le défi est de taille. Et pourtant, le charme a opéré, sous certains aspects du moins…
Du côté d’abord de l’orchestre qui fait preuve, grâce à une direction précise et parfaitement maîtrisée, d’une réactivité exemplaire surtout dans les passages de grande tension dramatique. Malgré les quelques quatre heures de musique, le chef a une vision globale de l’œuvre et une vraie ligne directrice. Faut-il rappeler qu’Antonio Pappano est un habitué de Wagner ? La musique défile, débordante d’énergie, mais d’une énergie canalisée, puisque la tension est palpable jusqu’à la dernière note. Tout au long de l’opéra et notamment dans le « Aux combats » du début du quatrième acte, les tempi adoptés sont littéralement galvanisants. Pour combler l’absence de mise en scène et accentuer l’atmosphère de montagnes suisses, le chef opte pour des effets acoustiques, en plaçant les cors à différents endroits de l’auditorium.
Malgré de belles réussites, le plateau vocal ne suscite pas le même enthousiasme. On a pu apprécier l’aisance du baryton canadien Gerald Finley dans le rôle de Guillaume Tell, le timbre chaud associé aux remarquables talents de comédienne de Marie-Nicole Lemieux, grande habituée du répertoire français, l’agilité vocale de John Osborn dans le redoutable rôle d’Arnold, qu’il a abordé la saison dernière au Concertgebouw d’Amsterdam, et enfin, la souplesse vocale de la soprano Elena Xanthoudakis qui endosse le rôle de Jemmy avec détermination. Certains petits rôles retiennent aussi l’attention : ainsi, le jeune Dawid Kimberg, à la diction impeccable, affiche beaucoup d’assurance en Leuthold ; il en est de même du Ruodi de Celso Albelo qui interprète avec finesse l’air d’entrée du pêcheur.
Malgré un timbre tout de rondeur et un français acceptable, on déplore le manque de souffle et par conséquent les quelques respirations mal placées de la soprano Malin Byström qui peine parfois à surmonter la virtuosité vocale du rôle de Mathilde, notamment dans son air « Pour notre amour plus d’espérance », où l’on perçoit une certaine tension dans les notes aiguës. Quant à Gessler, Carlo Cigni, au français incompréhensible, en fait une interprétation caricaturale, campant un personnage, peu raffiné qui ne chante que dans la nuance forte. Sa mauvaise articulation est d’autant plus audible, que la prononciation de Marie-Nicole Lemieux, toute de turquoise vêtue, et de Gerald Finley sont irréprochables. Malgré l’absence de mise en scène, ces deux chanteurs font de surcroît preuve d’un formidable sens théâtral que ce soit dans le désarroi de Tell au moment de la scène de la pomme, ou dans le désespoir d’Hedwige qui croit avoir perdu fils et mari.
Si l’on peut reprocher une diction approximative au chœur, qui occupe un rôle de premier plan dans Guillaume Tell, on ne peut que louer sa musicalité toute de nuances et de sensibilité.
Depuis cinq ans, Antonio Pappano travaille surtout le répertoire symphonique avec son orchestre, mais il parvient ici à exploiter avec brio la veine théâtrale que, selon ses dires, chaque Italien porte en lui. À l’issue de cette soirée, le chef a recueilli, non pas des pommes, mais les applaudissements enthousiastes du public. Souhaitons-lui une fructueuse récolte pour cette nouvelle saison !
Anne Le Nabour