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Andrea Chénier — Toulouse

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Spectacle
23 janvier 2009
Pour les voix et la musique.

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Andrea Chenier (Giordano, Steinberg – Toulouse)

Détails

 Umberto Giordano (1867-1948)

 

ANDREA CHENIER (1896)

Drame historique en quatre tableaux

 

   

Production de l’Opéra national de Lorraine

 

Mise en scène, Jean-Louis Martinoty

Décors, Bernard Arnould

Costumes et marionnettes, Daniel Ogier

Lumière, Jean-Philippe Roy

Mouvements chorégraphiques, François Raffinot

 

Andrea Chenier : Robert Dean Smith

Charles Gérard : Sergey Murzaev

Madeleine de Coigny : Irene Cerboncini

La comtesse de Coigny : Stefania Toczyska

Madelon : Maria José Montiel

Bersi : Varduhi Abrahamyan

L’abbé/Un incroyable : Emiliano Gonzalez Toro

Roucher : André Heyboer

Fléville : Peter Edelmann

Mathieu : Daniel Djambazian

Fouquier-Tinville : Antoine Garcin

Dumas/Schmidt/Majordome : Erick Freulon

 

Orchestre National du Capitole

Choeur du Capitole

Chef de choeur, Patrick Marie Aubert

 

Direction musicale, Pinchas Steinberg

 

Toulouse, le 23 janvier 2009

 

Pour les voix et la musique.

Détruire pour purifier : c’est à la fois la méthode et l’idéal révolutionnaires. Le poète André Chénier, « coupable » d’avoir dénoncé le dévoiement de l’idéal par les excès de la méthode, fut victime de l’engrenage de la Terreur. En choisissant cette figure historique comme héros d’un opéra, Ilica et Giordano voulaient-ils glorifier la figure de l’Artiste dont la pureté créatrice ne peut s’accommoder ni des mensonges ni des crimes ? Sous-entendre qu’à s’engager dans les affaires publiques il court le risque de disparaître et son art avec lui ? Dénoncer les procès truqués ? Ou condamner in fine les révolutions ?

Ce qui pour nous brouille le message, c’est que le drame de l’individu confronté à des forces qui le dépassent et le problème de l’honnêteté des convictions se voient superposer une intrigue où la passion amoureuse est proposée comme une valeur absolue supérieure à toutes les autres et où la mort subie est artificieusement – à nos yeux – exaltée comme une victoire. Manquons-nous de romanesque ? Cette intrigue amoureuse, nous avons du mal à y croire, ne serait-ce que parce que dans le trou temporel qui sépare la rencontre entre le poète et la jeune aristocrate et leurs retrouvailles mille événements étaient de nature à dissiper une première impression, si forte qu’elle ait pu être. Il y a aussi l’envolée initiale de Chénier : incité à parler d’amour il célèbre celui de la Patrie. Utile à définir le personnage, ce glissement nous semble forcé et cette éloquence appliquée sonner faux, comme nombre de tirades lyriques successives.

Cette prévention qui nous empêche d’adhérer pleinement à l’œuvre, la mise en scène de Jean-Louis Martinoty n’est pas au premier tableau de nature à la dissiper. On sait l’homme très cultivé et de conviction ; on retrouve ici son travers de vouloir dire tant que cela finit par faire trop. La pantomime à laquelle se livrent en scène, rideau ouvert, des personnes qui prendront leur rôle quand les premières mesures de musique auront indiqué le début de l’opéra n’est qu’un procédé désormais banal, et son résultat le plus clair, avec le fatras d’accessoires où elle se déroule, est de priver de sa clarté la scène d’exposition. En outre les signifiés sont indiqués pesamment, quand la comtesse fait des grâces aux mannequins comme à des êtres réels et que les hôtes vivants sembleront les doubles des poupées, quand Gérard jette littéralement sa livrée à la figure de la comtesse, quand Chénier blesse Gérard non de sa canne épée mais d’une pique au tableau suivant. Et certains détails surprennent, la cocarde tricolore anachronique en 1788 et la culotte obstinément portée par Roucher dans un contexte peu favorable. Mais il y a des idées heureuses, comme la pantomime des marionnettes censée illustrer le dernier roman de Fléville, réalisée dans le cadre d’un tableau aux couleurs de Watteau. Aux tableaux suivants, alors que le jeu incessant des panneaux chargés de créer des espaces différents manque de lasser, les situations et les relations et les personnages sont traitées de façon beaucoup plus classique, pour nous plus efficace.

En revanche du côté vocal et musical, quelle belle soirée pour hédonistes ! Si nous n’avons pas perçu l’effet de lointain d’abord prescrit pour le chœur des miséreux, les autres interventions sont à louer sans réserve. Côté solistes, ils sont quasiment irréprochables, les menues réserves disparaissant dans les aléas du spectacle vivant. Mentionnons dans les seconds rôles l’élégant – quoiqu’un peu trop jeune pour le personnage – Fléville de Peter Edelmann, le sensible et direct Roucher d’André Heyboer, la prestation de caméléon d’ Emiliano Gonzalez Toro, abbé de cour faussement décati et Incroyable pervers. Maria José Montiel incarne la vieille Madelon sans s’abandonner aux excès de pathos habituels, Varduhi Abrahamyan prête à Bersi l’émotion et l’élan justes, et Stefania Toczyska, toujours séduisante, chante sa comtesse avec une fraîcheur vocale qui change agréablement des habituels trémolos que le temps a rendus incontrôlables Sergey Murzaev s’impose d’emblée par l’éclat et la puissance d’une voix robuste ; il a le slancio nécessaire à rendre crédible les emportements du personnage, et son comportement scénique soutient sa performance vocale, en particulier dans l’examen de conscience. Un Gérard de premier ordre. On en dira autant de la Madeleine d’Irene Cerboncini, dont la voix souple, étendue, ample, lyrique, est bien celle qui convient, et dont l’interprétation préserve l’élégance jusque dans les effusions, strictement préservées des sanglots de mauvais aloi. Que dire enfin de Robert Dean Smith, naguère si remarquable in loco dans l’Empereur de La Femme sans ombre ? Il subjugue dès son entrée par la précision de l’émission, la clarté de la projection et un chant où la vaillance s’unit aux nuances, composant sans la plus minime faiblesse un Chénier vraiment admirable Rien d’étonnant dans ces conditions à l’enthousiasme final du public, duquel l’orchestre du Capitole prit légitimement sa part. Pinchas Steinberg l’avait conduit de main de maître, obtenant la précision, le tranchant, le dansant, le lugubre, dans un dosage sonore des plus exacts. Tenir en lisière jusqu’au bout les tentations d’effets « véristes » par une tension rythmique impeccable et des épanchements délivrés sans sauce superflue n’est pas une mince réussite. Bravo maestro !

Maurice Salles

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