Pour ce concert dont l’œuvre phare était le Stabat Mater de Poulenc, la programmation de l’Orchestre National de France avait eu la bonne idée de diversifier les horizons de la musique française. Car si l’on pense avant tout à Debussy et Ravel, il est parfois injuste d’oublier leurs contemporains et successeurs, qui ne connaissent pas toujours le succès qu’ils méritent.
La suite Masques et bergamasque de Fauré n’offre peut-être pas ce que le compositeur fit de mieux au cours de sa longue carrière : à part une « Pastorale » aux virages harmoniques surprenants, qui rappellent les derniers trios et quintettes, le reste de la suite est d’un néo-classicisme bien léché. Pourtant, Bertrand de Billy sait communiquer à l’orchestre la saveur de cette musique, et conduit le discours de façon claire et élégante. On passera plus rapidement sur l’Elégie, morceau un peu ennuyeux, auquel le jeu éteint de Jean-Luc Bourré peine à insuffler une âme.
Le morceau de résistance de cette première partie était The Shadows of Time de Henri Dutilleux. Ce dernier semble encore boudé par son pays natal, pour une raison qui ne s’explique plus vraiment aujourd’hui. L’œuvre fait presque figure de rareté, tant ses représentations furent ponctuelles en France (on compte une petite quinzaine de reprises depuis la création en 1997). Dans cette fresque symphonique aux allures de cantate, le langage est peut-être moins séduisant qu’à l’habitude, l’orchestration moins luxuriante, le son d’ensemble plus hiératique et ramassé. On retrouve pourtant les obsessions qui sont celles de Dutilleux : la cohérence formelle, les jeux de rappels au cours de l’œuvre, et un sens harmonique hérité de Debussy. La battue de Bertrand de Billy s’y fait peut-être moins souple, plus précise et énergique, pour mieux rassembler le grand orchestre qui lui fait face. Le National perd pourtant une partie de la cohésion qui était son atout lors du Fauré : la justesse commence à poser problème, et les difficultés rythmiques de la partition ne semblent pas encore toutes assimilées. A l’inverse, les trois jeunes solistes de la Maîtrise de Radio-France sont un modèle de concentration.
C’est après l’entracte que le concert prend son véritable envol. Le Cantique de Jean Racine est simple et touchant, avec de belles nuances ménagées par les forces réunies du Chœur de Radio France et du Chœur de l’Armée française. De même, les très brèves Litanies à la Vierge Noire de Poulenc ne passent certainement pas inaperçues : très bien préparé, le chœur féminin peut se targuer d’une diction impeccable, et d’une réelle précision d’attaque. Cette longue antienne qui doit beaucoup au chant grégorien est présentée ici dans sa version orchestrale. Bertrand de Billy en tire des couleurs étranges, souvent acides ou rauques, fruits d’une orchestration volontairement émaciée et insolite.
Ce tissus orchestral trouve son prolongement dans le Stabat Mater, où prime la transparence du propos. Le programme distribué en salle soulignait déjà la proximité entre Poulenc et le Stravinsky néoclassique. A bien chercher, on trouverait presque un lien de parenté entre ce Stabat et une Symphonie de Psaumes. Les deux chœurs sus-nommés brillent toujours par leur cohésion, même si l’intonation des passages a cappella n’est pas toujours sans faille.
© Balátzs Böröcz
En soliste, le National se payait le luxe d’Emőke Baráth, une habituée de l’Avenue Montaigne. Malgré des interventions assez brèves, on est séduit par la rondeur du timbre, et la générosité du médium. Son « Vidit suum » est certainement l’un des points forts de la soirée.