De la comptine, supposée chantée par une marchande de fruits, on ne connaît plus guère que le refrain « Pomm’ de reinette et pomm’ d’Api », cette dernière étant un petit fruit dont une face est rouge, c’est aussi le titre d’un remarquable magazine pour enfants. La pomme, ça se croque (« L’homme à la po-o-o…mme, ô ciel ? »). Aussi, louons déjà l’invention des librettistes, pour nous offrir un bijou de drôlerie émue, sans satire, avec une jubilation qui n’est démentie que dans les passages empreints de tendresse.
Jean-Christophe Keck, spécialiste incontesté de l’œuvre de Jacques Offenbach, introduit la production par une présentation bienvenue de ce bijou, rare, qu’il considère à juste titre comme l’un des meilleurs ouvrages en un acte qu’écrivit le compositeur. Ensuite, selon le même procédé que celui qu’il avait mis en œuvre pour Ba-Ta-Clan, ici même, il y a trois ans, il va diriger ses chanteurs et le piano tout en disant les didascalies, comme au bon vieux temps des retransmissions de l’orchestre lyrique de l’ORTF. Le résultat, bien que privé de costumes et de décors, est savoureux et juste. Les huit numéros sont autant de réussites. Le premier permet à Rabastens, viveur et gaillard, de se présenter, autant que d’introduire l’intrigue. La romance navrée de Gustave, qui s’est vu couper les vivres par son oncle s’il ne rompait pas avec Pomme d’Api, précède les couplets de Catherine, la jeune bonne récemment recrutée. C’est alors le célèbre et hilarant trio « va donc chercher le gril », joyeuse parodie loufoque de l’opéra-comique français. Le duo des amoureux séparés, chargé d’émotion juste, nous fait revivre leur liaison. Du rondeau « j’en prendrai un, deux, trois, quatre… », repris en finale après la romance de Gustave qui aboutit à la réconciliation des amoureux, rien n’est superflu.
Rabastens, l’oncle, rentier (ancien fabricant de machines à coudre), « 48 ans, trente-neuf pour les femmes », est un gaillard, « toujours vert ». La bonne chère, comme son appétit insatiable pour les jeunes femmes commandent sa vie. Les côtelettes, accompagnées des pommes de terre qu’épluchera Catherine, le champagne sont de la partie. Pour le camper, ne manque à Lionel Peintre que cette rondeur physique liée à sa gourmandise : car tout est là, de la voix sonore, toujours intelligible, projetée, comme du jeu, exemplaire d’engagement et de vérité. On dit de la créatrice de Catherine, Madame Théo, venue du Café concert, que ses qualités vocales et de comédienne surpassaient celles d’Anna Judic et d’Hortense Schneider. Un nom à retenir : Hélène Carpentier, la jeune soprano, déjà lauréate de nombreux prix, lui prête sa voix et son sens du théâtre pour notre plus grand bonheur. La fraîcheur de l’émission, la finesse du jeu, la drôlerie nous séduisent. Sébastien Droy est Gustave, le neveu. A la création, ce rôle était travesti, confié à Madame Dartaux. Notre ténor a tous les moyens vocaux requis, égalité des registres, projection, couleur. Le jeu est convaincant. Tout juste l’intelligibilité est-elle parfois prise en défaut. Nous ne pouvons qu’adhérer à l’affirmation du programme, qui nous dit que seuls, Mozart, Rossini et Offenbach supportent allègrement la réduction au piano, pour des raisons identiques d’invention mélodique et rythmique. Le jeu d’Anne Pagès, à qui cette dernière est confiée, répond pleinement aux attentes et fait oublier les réalisations orchestrales, y compris celle de Manuel Rosenthal.
Une bouffée d’air frais dans la chaleur de l’été montpellierain.