Imaginez un hall de foire sous une charpente métallique, transformé pour la durée du festival en une vaste salle de concert offrant 1700 places. Imaginez un public de grands bourgeois fortunés, Suisses et internationaux mélangés, pas plus jeune qu’ailleurs mais sensible au prestige de l’opéra, venu pratiquer là les deniers codes du chic décontracté – nous sommes à la montagne et tout le monde ici est en vacances – et goûter au plaisir de se retrouver entre soi. Le festival de Verbier a sa propre sociologie mais le festival de Verbier a aussi beaucoup de moyens, on suppose que c’est lié, qu’il utilise fort à propos.
C’est un brochette de jeunes chanteurs absolument remarquables qui sont réunis ce soir là pour jouer Les noces de Figaro. Pas de mise en scène, c’est entendu, mais une mise en espace due à Claudio Desderi, baryton italien reconverti, tellement soignée et proche du livret qu’il n’y manque quasi rien : un large proscenium devant l’orchestre, deux bergères dorées pour tout décor, des costumes modernes, et en avant la musique !
Dans un tempo très vif, avec légèreté et délicatesse, entrain et précision, Paul McCreesh donne le ton dès l’ouverture : la folle journée sera plus pétillante que jamais. Et même si les répétitions furent peu nombreuses, quatre jours tout au plus, et même si la disposition des lieux, orchestre et chef derrière les chanteurs, n’est pas idéale, l’attention du public est captée d’emblée par la qualité des voix. C’est clairement le couple Susanne-Figaro qui domine la distribution : après un premier air d’échauffement, Sylvia Schwartz idéalement distribuée trouve son personnage, auquel elle donne beaucoup de piquant et de caractère. Toutes les expressions passent la rampe sans forcer, tant la voix est claire et bien placée. Comédienne accomplie, tempérament méditerranéen, elle excelle dans la veine comique, parvenant avec quelques gestes à peine à faire rebondir sans cesse son personnage, jusqu’à l’air « Deh vieni non tardar » au IVe acte, où bouleversante d’émotion et excellemment accompagnée par le chef, elle révèle encore une autre facette de son talent. A ses côtés, le Figaro de Gábor Bretz est impressionnant, lui aussi. Physiquement, il a le charme d’un Don Juan, la stature d’un commandeur et l’allure d’un comte ; vocalement, il peut à peu près tout faire : la voix est homogène dans tous les registres, puissante, colorée et la diction parfaite. Il montre aussi beaucoup d’aisance en scène, toujours connecté avec ses partenaires, avec un sens aigu de l’à-propos. A côté d’un tel couple, la Comte et la Comtesse ne sont pas vraiment en reste. La voix magnifiquement chaude et cuivrée, épanouie de la soprano américaine Susanna Philips séduit dès les première mesures du IIe acte, même si les principaux airs du rôle, qui sont aussi les moments de l’opéra les moins inscrits dans l’action, auraient sans doute bénéficié d’un tempo un peu plus lent (ou de quelques moments de suspension) et de plus de transparence encore. Joshua Hopkins quant à lui campe un comte un peu conventionnel mais vocalement très bien en place, un rien moins rayonnant que Figaro cependant. Avec trop de rondeurs féminines pour le rôle mais une voix très convaincante, Daniela Mack joue un Chérubin un peu minaudant mais musicalement délicieux. Les autres rôles sont partagés entre Catherine Wyn-Rogers, une Marcelline au timbre très riche, le jeune baryton noir américain Justin Hopkins, assez cocasse lorsque Marcelline le présente comme le père de Figaro, et qui prête aussi sa voix au rôle d’Antonio, et enfin le jeune turc Iker Arcayürek, ténor un peu vert mais très prometteur, excellente voix également et tout aussi bon comédien.
C’est surtout dans les ensembles que toute cette petite troupe fait merveille, tant les tempéraments son bien accordés, les voix délicieusement assorties et les intentions de chacun exclusivement tournées vers la cohérence musicale du groupe. La dynamique du chef se révèle alors particulièrement propice à la fluidité du discours musical, à l’étagement des différents plans sonores indispensable à la compréhension du texte de chacun. Toute la subtilité de la musique de Mozart, son équilibre miraculeux se trouvent ainsi révélés et concourent à établir sans aucune difficulté apparente la dynamique dramatique de l’œuvre.
L’enregistrement vidéo de cette soirée est disponible gratuitement en replay pendant 90 jours sur medici.tv.
Version recommandée
Mozart: Le Nozze di Figaro | Wolfgang Amadeus Mozart par René Jacobs