Petite, l’ultime Messe de Rossini ne l’est que dans sa version primitive, pour deux pianos et un harmonium, créée en 1864 dans la chapelle privée du Comte Pillet-Will, rue de Montcey à Paris. Aménagée trois ans plus tard pour grand orchestre, la partition affiche d’autres prétentions mais perd en originalité ce qu’elle gagne en majesté. Encore plus solennelle que son titre le suggère, laborieuse, pompeuse presque dans l’interprétation qu’en propose au Théâtre des Champs-Elysées l’Orchestre National de France dirigé par Daniele Gatti, elle se présente dépouillée des attraits qui, dans la version initiale, en font la modernité. Le déhanchement jazzy du Kyrie ? Aplati par le volume orchestral et débarrassé de toute fantaisie. Les bizarreries harmoniques du Preludio Religioso ? Noyées dans la masse, submergées par le flot sonore. Le rythme martial du Domine Deus ? Arasé, comme privé de ressort. Tous les clins d’œil qu’adresse Rossini à l’auditeur ne sont pas gommés mais beaucoup passent à l’as. Finalement c’est quand l’orchestre se fait le plus discret que l’on goûte le mieux la musique : le Sanctus a capella, stupéfiant, ou le Qui Tollis et ses arpèges égrappés par la seule harpe autour desquels s’enlacent, amoureuses, les deux voix féminines.
Petite, cette Messe l’est encore moins lorsqu’au lieu d’être célébrée, comme à l’origine, par un ensemble de douze chanteurs « de trois sexes – hommes femmes et castrat – », elle est interprétée par le Chœur de Radio France au grand complet. La force supplante la ferveur. La cohésion sonore, au sein et entre chaque pupitre, se veut la contrepartie d’attaques souvent diffuses. Le résultat emporte sans vraiment soulever l’enthousiasme.
Si petite soit-elle, cette Messe est confiée ici à quatre grandes voix. Celso Albelo souffrant, on pouvait compter sur Saimir Pirgu pour assurer la relève, même si le ténor a trop d’élégance pour faire du Domine Deus un hymne guerrier et pas assez de puissance pour surmonter dans les ensembles un orchestre pléthorique. Audiblement en méforme, Carlos Colombara slalome entre les notes aiguës comme un skieur en déroute. Le pathos du Cruxifixus n’est pas de trop pour qu’enfin affleure l’émotion, à condition de savoir comme Anna-Caterina Antonacci en exalter la dimension dramatique. D’une voix plus saillante que celle de ses partenaires, la chanteuse s’improvise soprano lyrique. La tessiture est parfois tendue mais l’art de dire, à renfort d’inflexion et de nuances, rachète quelques effets moins aboutis. Surtout, le chant, bien que pétri d’expression, ne dépasse jamais les limites préjudiciables au style ou au sentiment. Au contraire de celui de Marie-Nicole Lemieux qui, superbe pourtant, abuse d’intentions. Dommage car débarrassé des excès qui en atténuent la portée plus qu’ils n’en exaltent la dévotion, l’Agnus Dei, cet adieu vibrant de Rossini à la voix de contralto, aurait fendu des pierres.