Pour clôturer la 34ème édition du festival Rossini, le théâtre pesarais a accueilli cette année une version de concert de La donna del lago confiée à Alberto Zedda. L’an dernier, Christophe Rizoud et Antoine Brunetto avait beaucoup apprécié le Tancredi conclusif, également en version concertante. En 2013, le temps de répétition aura peut-être été insuffisant et la distribution comportait des faiblesses sérieuses… le fait est que le résultat de cette soirée d’adieu aura davantage ressemblé à un pétard mouillé qu’à un feu d’artifice final.
On a même craint le pire un instant : alors que l’on en était au milieu de l’air d’entrée de Rodrigo à la fin du premier acte, Alberto Zedda, qui a fêté ses 85 ans en début d’année, a été pris d’un malaise provoquant l’entrée sur la scène d’un médecin et du surintendant Gianfranco Mariotti. Après une demi-heure d’interruption, Zedda est revenu sur scène sans sa veste et a ensuite assuré tout à fait normalement la fin du spectacle. Si le maestro a été ovationné, certains loggionisti n’ont pas pu s’empêcher de songer qu’à 85 ans, il était peut-être temps de passer la main.
Même si certains choix de tempi sont parus bien lents, le maestro Zedda n’est pas le premier responsable du bilan mitigé de la soirée. Il apporte à la partition la clarté, la classe, la précision qu’on lui connaît (Naxos a diffusé une version live dirigée par Zedda et captée en 2006 à Bad Wildbad). Mais rares sont les moments où, comme dans le concertato du début de l’acte II («Alla ragion deh ! Rieda»), la musique décolle vraiment et où le public se laisse emporter. Les chœurs du Théâtre de Bologne, mis à rude épreuve pendant tout le festival, comme l’orchestre, sont très bons et dans une œuvre comme La donna del lago, cela compte.
Du côté des solistes, on est assez loin du niveau que l’on peut attendre du festival Rossini et la déception est vive. Dans le rôle de Giacomo V, Dmitry Korchak émaille certes la partition de suraigus et son sens des nuances est appréciable. Mais après un démarrage du duo avec Elena poussif, c’est surtout le terrible air « O fiamma soave » qui fait tâche. Sa dernière partie, avec la reprise ornée de mélismes, sollicite à l’extrême le souffle du chanteur qui parvient épuisé à la double barre finale. Le rôle créé par Giovanni David est manifestement au-delà des capacités du ténor, à vrai dire désormais davantage ténor romantique que belcantiste à proprement parler.
L’autre ténor constituait l’attraction principale de la soirée. Michael Spyres, qui avait donné quelques jours auparavant à Pesaro un récital très apprécié, avait, sur le papier, tous les atouts pour devenir un grand Rodrigo, et notamment des graves quasi-barytonants adaptés aux impressionnants sauts de registres que comporte la partition. Sur certains points, le public du Théâtre Rossini n’a pas été déçu : seul à chanter de mémoire, Spyres fait montre d’un engagement de tous les instants avec des intentions très justes. Sur presque tout l’ambitus, le timbre et la projection sont spectaculaires et font penser au jeune Merritt, en particulier dans le terrible «Eccomi a voi». Hélas, de manière chronique, surprenante et très gênante, tous les aigus se resserrent dramatiquement, partent vers l’arrière et deviennent quasi inaudibles. Alors que l’on attendrait de larges sons épanouis, la frustration à l’écoute est terrible. Dommage et inquiétant. Sans nul doute, ce spectacle restera-t-il dans la mémoire du ténor américain : la suspension due au malaise de Zedda l’a contraint, à la reprise, à attaquer directement une nouvelle fois la partie lente de l’air «Ma, dovè colei, che accende»… Une performance en soi.
Du côté des dames, le festival a misé sur la jeune soprano espagnole Carmen Romeu bien connue du public pésarais pour avoir assumé quelques seconds rôles depuis plusieurs années. Le pari n’est qu’à moitié réussi car, si la prestation n’est pas indigne, l’ensemble reste moyen. Le rondo final «Tanti affetti», qui doit exploser dans des vocalises jubilatoires, est à peine correct.
La plus sympathique surprise vient du Malcolm de Chiara Amarù. La mezzo sicilienne, formée en partie au Communale de Bologne, se voit elle aussi confier un premier rôle après plusieurs expériences passées au côté de Zedda. Le résultat est concluant : la voix est très timbrée et permet à la fois de phraser et de vocalise souplement. A l’applaudimètre, c’est bien Amarù qui triomphe et après Rosine et Angelina, voilà une prise de rôle dans le genre serio qui ne demande qu’à s’épanouir.
Le reste de la distribution est solide, avec notamment Alberghini, très bien dans son air de l’acte 1, et Luciano entendus sur la scène de l’Adriatic Arena dans Guillaume Tell quelques jours plus tôt. En Albina, la jeune Mariangela Sicilia fait tout ce qu’elle peut pour se faire remarquer en ajoutant notes aiguës et variations ce qui, vu la modestie du rôle, est une gageure…
Les versions concertantes des opéras offrent la plupart du temps le meilleur ou le pire. On a eu, en cette dernière soirée pésaraise, un entre-deux, décevant en soi. Dans la patrie du grand Gioachino, on attend forcément l’excellence.