Ce soir au Théâtre des Champs Elysées, c’est une variation sur un même thème à travers plusieurs oeuvres qui nous était proposée, celle de la douleur d’une mère face aux souffrances de son fils. Et pour la sublimer, deux voix, celles de Jodie Devos et d’Adèle Charvet réunie dans un programme dédié d’abord en première partie, aux Salve Regina de Pergolesi et d’Haendel. Un répertoire tout en intériorité, qui réussit davantage à la mezzo qui en maitrise toutes les nuances et les demi-teintes, en habituée du répertoire baroque. Mais c’est surtout dans le Stabat Mater de Pergolesi, en seconde partie, que les deux chanteuses étaient particulièrement attendues.
Composé par Giovanni Battista Pergolesi au seuil de sa mort alors qu’il était encore à l’aube de sa vie, le Stabat Mater porte en lui à la fois la pureté naïve de la jeunesse et la richesse mélodique d’une œuvre de la maturité. Cette partition, prosaïque et sacrée, mêlée de recueillement et d’allégresse, doit être servie sans effets inutiles, sans ornementations superfétatoires.Les douleurs exprimées doivent être dépassées, apaisées, sublimées dans une lecture raffinée tout en nuances. Rares sont pourtant les interprétations qui ont trouvé cet équilibre, l’ostentatoire l’emportant souvent sur la sobriété.
Hier soir, avec Jodie Devos et Adèle Charvet, l’œuvre n’avait rien d’éploré, ni d’outrancièrement festif. On est ici de plain-pied dans l’opéra baroque en ce qu’il a de brillant, de lumineux, mais sans excès. Les voix s’accordent à merveille. En totale synergie, elles confèrent de délicates couleurs à la partition de Pergolesi. Leur complémentarité dans une lecture subtile s’illustre d’emblée dès le duo introductif où les voix se mêlent dans une alchimie de timbres. A cet égard, les deux chanteuses nous offrent un moment de grâce dans O quam Tristis où, sur un tempo lent, les voix se déploient à l’unisson pour distiller une tristesse lumineuse sans affliction, comme une flamme qui vacille mais ne s’éteint pas. L’osmose vocale atteint son point d’orgue avec le Fact ut ardeat cor meum, où les deux chanteuses font corps et se répondent en écho dans le rythme et l’énergie des vocalises. Le public apprécie, et les artistes ne se feront pas prier pour bisser leur prestation, en fin de spectacle, pour le plus grand plaisir de l’auditoire.
Jodie Devos, se tient à distance de tout excès dans l’expression et distille avec juste mesure les couleurs et les nuances. Cette subtilité trouve sa plus belle expression dans le Cujus Animan gementem. Sa voix au timbre clair et limpide confère grâce et légèreté à son interprétation avec une pointe d’allégresse mais sans exagération primesautière pourtant très tentante sur ce tempo andante amoroso. La chanteuse se distingue par la douceur du timbre, la pureté de l’aigu notamment en introduction du Quis est homo. Irréprochable également dans Vidit Suum Dulcem natum, la voix est longue, colorée, virtuose, d’une articulation remarquable.
Adèle Charvet donne, quant à elle, pleinement corps au recueillement du O quam tristis et aflicta et à la verve désespérée du Salve Regina de Pergolesi en fa mineur chanté en première partie. La voix possède une belle amplitude et une projection solide et assurée. Les graves sont ronds et soyeux et font merveille dans le Eja Mater Fons Amoris. Surtout, l’instrument conserve une parfaite homogénéité dans tous les registres comme l’illustre dès la première partie du concert. Dans Quae Moerebat et delebat, la mezzo exprime à merveille le mariage antinomique de la douleur sous-jacente et du rythme enlevé. Elle donne corps ici à une expression retenue du chagrin portée avec une naturelle et désarmante spontanéité. Le talent ne se donne pas ici en spectacle. Il se met au service de l’œuvre.
A la tête du Concert de la Loge, Julien Chauvin, également premier violon, se laisse aller à un enthousiasme jubilatoire pas toujours à propos. Dans une lecture fiévreuse, il donne aux Quae Moerebat et delebat et Inflammatus et accensus des allures de tourbillons, faisant fi des indications allegro ma non troppo de la partition. Un rééquilibrage se fait heureusement par la suite. Ainsi, dans le final, le tempo du Amen est certes enlevé mais la direction se révèle fluide, légère, toute en rondeur. Dans cet écrin musical contrasté, ce sont véritablement les voix des solistes qui magnifient le récit de ce poème de la douleur dans une sobriété et simplicité à propos. Et quand on quitte le théâtre ce sont les magnifiques arabesques vocales des deux voix dans le Fact ut ardeat cor meum que l’on entend encore en écho.