L’art lyrique a ceci de magique qu’aucune soirée ne se ressemble. Cette reprise du Pelléas et Mélisande d’Eric Ruf affichait un casting alléchant. Mais finalement, alors que Patricia Petibon était annoncée, une méchante allergie l’a contrainte à devoir seulement mimer Mélisande ce soir, comme à la première, en étant doublée à l’avant- scène par l’exquise Vannina Santoni, qui a déjà triomphé dans ce rôle à Lille.
Deux Mélisande pour un Pelléas donc, et quel Pelléas, celui de Stanislas de Barbeyrac. Une diction parfaite si indispensable pour cette œuvre, où le chant et le parler s’enchevêtrent en permanence, couplée à un timbre soyeux et à une belle homogénéité de registres sur l’ensemble de la tessiture, des graves barytonants aux aigus franchis avec une aisance déconcertante, font du ténor français peut-être le meilleur interprète du rôle à l’heure actuelle. Il était de surcroît en totale harmonie scénique avec le jeu de Patricia Petibon, dont la rousseur flamboyante apportait la touche de lumière indispensable à la noirceur du décor. Vocalement, l’harmonie était aussi au rendez-vous. Vannina Santoni a déployé des trésors de délicatesse, maniant les nuances avec beaucoup de subtilités pour rendre toute la tendresse et toute l’authenticité du personnage, grâce à son émission à la fois claire et tout en rondeur.
Tout le plateau était d’ailleurs parfaitement équilibré. Simon Keenlyside campe un Golaud complexe, dévoré de jalousie, se consumant de douleur, n’hésitant pas à torturer son propre fils, magnifiquement interprété par Chloé Briot ou Mélisande elle-même lorsqu’il la terrasse en la traînant par les cheveux ou n’hésitant pas à la harceler sur son lit de mort. Il partage avec nombre de chanteurs anglo-saxons une articulation assez remarquable du français et une présence scénique hors norme, accentuant l’horreur de l’assassinat du frère et rendant avec une justesse folle toutes les contradictions qui traversent Golaud dans le dernier acte.
Golaud et Yniold (c) Vincent Pontet
Jean Teitgen est un Arkel superlatif à la voix ample et aux graves ronds, rayonnant d’humanité dans les deux derniers actes et Lucile Richardot une Geneviève au timbre somptueux et à la diction remarquable. A noter également le très bon docteur enfin plutôt marin ici de Thibault de Damas.
La sobriété de la mise en scène très épurée et presque glaçante d’Eric Ruf, cantonnée à un décor quasi unique, a permis de mettre en valeur l’intimité de ce drame familial où même l’innocence d’un amour pur ne trouve grâce. Ayant pour fil conducteur la métaphore aquatique, la conception d’Eric Ruf suit fidèlement le livret en conservant tout le mystère entourant les personnages sans chercher à y apporter d’explication supplémentaires.
A l’instar de la mise en scène, le texte est sublimé par l’orchestre de Debussy, magistralement dirigé par François-Xavier Roth, portant tour à tour la délicatesse des notes soutenant la moindre inflexion du texte et des attaques fulgurantes, puissamment assénées tout en assurant dans les interludes une précision remarquable. François-Xavier Roth utilise des instruments de l’époque de la création de l’œuvre ce qui atténue un peu l’écriture de Debussy dans son rendu des vagues …sans pour autant sacrifier l’attention portée aux chanteurs, constante. A de rares moments, les voix furent un peu couvertes par la matrice orchestrale très colorée et très nuancée des Siècles.