Soudain, un coup de feu. Sur la scène du Liceu de Barcelone, Pelléas s’effondre. Son demi-frère, Golaud, jaloux de son amour pour Mélisande, l’a abattu. Il l’a fait avec un fusil, non avec une épée comme cela se fait habituellement dans la bonne société debussyste. Le metteur en scène catalan Axel Ollé l’a voulu ainsi. A cette curiosité près, sa mise en scène de Pelléas et Mélisande est admirable. Un coup de feu ici et, dans l’ensemble, un coup de maître !
On voit, sur le devant de la scène, un immense treillis de branches métalliques qui monte ou descend, symbolisant la forêt. Les éclairages baignent l’ensemble de poésie et de mystère. Au centre tourne une immense structure à deux étages qui, au fur et à mesure du déroulement du spectacle, présente des salles du vieux château ou les sites de la forêt. Tout cela est d’un total esthétisme.
Le devant de la scène est recouvert d’eau – eau, symbole de la fontaine des amants et de la fluidité de la musique de Debussy, eau présente dans les mots d’amour de Pelléas pour Mélisande : « On dirait que ta voix a passé sur la mer… », « Ta voix est plus fraîche que l’eau… », « On dirait de l’eau pure sur tes lèvres ». Alors, Mélisande tend sa main tremblante vers Pelléas et, dans un vibrant clair-obscur, approche ses lèvres pour l’ultime baiser avant la mort. Du pur Maeterlinck mâtiné de Debussy !
Pelléas et Mélisande au bord de la scène recouverte d’eau © Liceu de Barcelone
Dans ce spectacle, la distribution est exemplaire, avec, de la part de tous les protagonistes, une clarté et une souplesse de diction qui donnent aux mots et à la musique une totale fluidité.
Mélisande – qui, ici, est rousse et non blonde comme à l’habitude – est la française Julie Fuchs. Dans la salle catalane, ses compatriotes sont fiers d’elle. Son chant, clair et bien timbré, a une sorte de « limpidité française ».
On peut dire exactement la même chose du très bon ténor Stanislas de Barbeyrac – belle voix, ligne de chant raffinée – qui incarne Pelléas. Il est coiffé, lui, de longs cheveux blancs comme tous les hommes de sa famille.
Chapeau au Golaud de Simon Keenlyside, à la diction parfaite, au chant excellemment maîtrisé, au jeu émouvant !
Franz-Josef Selig est un parfait Arkel – le vieux roi, grand-père de Pelléas. Il fait vibrer de manière royale son beau registre grave.
Quant à Sarah Connolly, son chant en Geneviève (mère de Pelléas et de Golaud) est d’une totale beauté.
Ruth González assume fort bien le rôle du fils de Golaud, Yniold. Lorsqu’on le voit grimper au treillage pour espionner les amants à la demande de son père, l’intensité dramatique est, on peut vous l’assurer, à son comble.
Au Liceu de Barcelone, le chef d’orchestre Josep Pons est chez lui. Il est le maître des lieux. Pons pilote. Et Pons pilote « Pelléas » avec une aisance parfaite. Même si son orchestre n’a pas la transparence d’un orchestre français, ce qui sort de la fosse est d’une grande beauté. A un moment, Pelléas dit de Mélisande : « Il faut que je la voie jusqu’au fond de son cœur ». Pons, lui, est allé voir au fond du cœur de la musique de Debussy.