En reprenant ce Bal Masqué sans relief pour sa soirée d’ouverture de la saison 2013-2014, le Staatsoper de Berlin veut poursuivre la célébration du deux-centième anniversaire de la naissance de Verdi. La saison débute à nouveau hors les murs puisque les travaux de rénovation de la salle historique située « Unter den Linden » sont loin d’être achevés.
Jossi Wieler et Sergio Morabito conjuguent leur talent pour nous présenter ce drame dans le lieu unique d’un dancing américain des années 50. L’option de replacer l’œuvre dans le contexte historique de la cour du roi Gustave III de Suède est donc d’emblée écartée. L’exercice du décor unique, aussi réussi soit-il, est d’autant plus périlleux que la production manque cruellement de sens dramatique. Les personnages se succèdent – tantôt en pyjamas et peignoirs, tantôt en tenues de soirée sophistiquées – dans cette grande salle encombrée de sièges vides en essayant vainement d’incarner la passion qui est censée les animer. Dans ce contexte, les tentatives de coller au livret sont d’autant plus inutiles qu’elles sont décalées. Ainsi, le gibet sous lequel Amelia doit se rendre pour herboriser n’est autre que la dépouille d’Ulrica suspendue au plafond du dancing. Son pouvoir de sorcellerie n’est plus à prouver lorsqu’on la voit revenir au troisième acte pour prendre part au bal…
L’Orchestre de la Staatskapelle de Berlin placé sous la direction de Massimo Zanetti donne corps, avec force et vigueur, à une partition qui alterne rythmes dansant et accords angoissants. Cette éruption orchestrale de la fosse accentue le décalage ressenti entre l’auditif et le visuel, car sur le plateau certains chanteurs errent de manière névrotique sans habiter réellement leur personnage. La distribution réserve quelques rôles aux membres de la troupe du Staatsoper dont l’éloge des qualités vocales n’est plus à faire : Alfredo Daza campe ici un Renato au chant musclé mais qui s’accompagne trop souvent de grimaces déplaisantes, et Marina Prudenskaya, grossièrement maquillée en noire, peine à assouplir son chant dans la redoutable tessiture d’Ulrica.
Le Riccardo de Kamen Chanev est remarquable de jeunesse et de vitalité. Tant son chant généreux que sa présence scénique s’opposent au marasme ambiant. La prestation de Valentina Nafornita (Oscar) compte aussi parmi les moments forts de la soirée. Elle est proprement fascinante par la précision et la percussion de ses notes. Il faut dire que la partition lui réserve des arias piquants aux effets comiques. Raffaella Angeletti est plus contrastée dans le difficile rôle d’Amélia, dotée d’une voix au registre impressionnant et capable de tenir de délicieuses notes en fil de voix, son ampleur est néanmoins limitée, notamment dans les aigus, au point de se laisser submerger par l’orchestre ou par ses partenaires lors des ensembles. Les basses Gyula Orendt et Grigory Shkarupa, qui interprètent les conspirateurs, connaissent leur moment de gloire dans la « riseta » – cette cascade de rires ralentis et stylisés à l’excès – de l’acte II.Parfum de rentrée en revanche pour les Chœurs du Staatsoper qui se sont abandonnés à quelques petits flottements dans leur première scène.