Le deuxième week-end du Festival de Beaune, cru 2022, s’ouvre avec Partenope, opéra moins connu de Haendel qui réunit pourtant toutes les qualités du compositeur, son inventivité musicale que traduit si bien l’ensemble de William Christie, Les Arts Florissants. C’est la pulsation de la vie et de l’amour, avec la force intacte des sentiments que tempère un humour présent dans le livret comme dans l’écriture vocale et musicale.
Si le personnage de la reine de Naples donne son nom à l’opéra, c’est qu’elle est au centre des attentions, courtisée par trois princes et, en apparence, par un quatrième qui n’est pas celui qu’il prétend être, peut-être même aussi par son capitaine des gardes, comme le laisse entendre la mise en espace de Sophie Daneman. Mais la majesté de Partenope, son allure souveraine qu’incarne à la perfection la soprano Ana Vieira Leite, en traçant les contours d’un modèle de constance amoureuse et d’exigeante sincérité, garantissant un cadre et fixant des limites – en tant que femme et en tant que reine –, permet de mieux lui opposer les débordements de la passion, amoureuse ou guerrière – la métaphore ici est constante. Ce tumulte des passions (« tumulto d’affetti » selon Rosmira, II, 5) qui submerge Arsace, le remarquable contre-ténor Hugh Cutting, et Rosmira, la splendide mezzo-soprano Helen Charlston – aussi sensible que déterminée – , semble être au cœur de la composition, dans les frémissements des cordes, dans les sons élégiaques des vents, dans les récitatifs et les airs tour à tour agités et mélancoliques des personnages.
Notre confrère Bernard Schreuders a donné dans ces colonnes un compte rendu complet, informé et précis de ce même spectacle, dans la même distribution, donné à la Philharmonie de Paris en octobre dernier. Nous souscrivons en tous points à son analyse et à ses commentaires, en tenant à souligner combien l’œuvre est mise en valeur par les talents conjugués de chanteurs et d’acteurs de tous ces jeunes artistes issus de l’Académie du Jardin des Voix. D’ailleurs, en entendant se succéder des airs dont la virtuosité n’efface jamais la profondeur, on peut penser qu’à côté de l’éclat indéniable du chant de Hugh Cutting et du caractère affirmé autant que séducteur de la voix de Helen Charlston, la sensibilité tout en intériorité du contre-ténor Alberto Miguélez Rouco participe d’un choix interprétatif, tant musical que scénique, qui donne à entendre et à voir le tourment d’Armindo et le manque d’assurance du personnage lui-même (puisqu’aussi bien c’est Eurimène/Rosmira qui doit le convaincre de tenter sa chance auprès de Partenope).
Et c’est sans doute une lecture possible du livret qui explique ici l’interprétation bouffonne du rôle d’Emilio par le ténor Jacob Lawrence : il ne lui importe pas de convaincre en ennemi ou en dangereux rival – l’air du premier acte, « Anch’io pugnar saprò », semble bien peu belliqueux et presque désinvolte, annonçant le jeu comique qui suivra –, mais plutôt dans la déploration de ne pas être le héros que le personnage souhaitait devenir, d’où une intensité plus grande du chant dans son air du deuxième acte, « Barbaro fato sì » dans lequel il s’apitoie sur lui-même (« Povero amore ! »).
Bien que la part de texte et de chant dévolue à Ormonte soit très réduite, le baryton Matthieu Walendzik s’affirme, dans son rôle de capitaine des gardes, et dans une grande proximité avec Partenope, avec une autorité et une forme de prestance vocale autant que physique qui lui donnent une véritable présence parmi ces personnages rivalisant d’airs plus magnifiques et émouvants les uns que les autres. Son unique air, « T’appresta fose amore », évoquant d’ailleurs l’amour qui attend Partenope, donne la mesure de son talent en dépit de la brièveté de sa contribution.
La direction de William Christie enchante : une fois de plus, on ne peut que saluer la délicatesse des cordes des Arts Florissants, mais aussi leur vivacité et leur éclat, tout autant que le lyrisme des vents et le dialogue constant des instruments et des voix. Les ensembles sont particulièrement réussis (par exemple le quatuor du III réunissant Armindo, Emilio, Arsace et Partenope, ou celui que forment un peu plus tard Partenope, Arsace et Rosmira), à côté de ces joyaux que sont la plupart des airs, depuis « L’Amor e il destin » dont Ana Vieira Leite déploie les ornements avec autorité et assurance, jusqu’à « Qual farfalletta » qui révèle une autre facette de son talent, toute de suave légèreté, en passant, entre autres, par la douleur d’Arsace, palpable dans l’interprétation par Hugh Cutting de « Fatto è Amor un Dio d’Inferno » et du célèbre « Furibondo spira il vento ».
Il appartient à Helen Charlston, dans le rôle de l’amoureuse éconduite se travestissant en prince Eurimène pour reconquérir son amant Arsace en feignant de briguer l’amour de Partenope, d’incarner au plus près, au plus juste aussi, dans cette confusion des sentiments, le tumulte des passions avec son air « Furie son dell’alma mia », marqué par une justesse et un lyrisme qui s’épanouissent déjà lors de la première rencontre (« Un’altra voltra ancor ») et par la puissance vocale déjà mise au service de l’air enlevé « Io seguo sol fiero ».
Le Festival de Beaune célèbre cette année ses quarante ans, comme l’a rappelé sa fondatrice et directrice artistique Anne Blanchard avant la représentation, et c’est également le vingtième anniversaire de l’Académie du Jardin des voix. À la fin du spectacle, William Christie fait cesser les applaudissements pour prononcer quelques mots, annoncant que cette soirée joyeuse marque aussi la fin d’un cycle : cette quinzième représentation de Partenope, dans cette distribution, sera la dernière. Et en quelques paroles émouvantes, le chef salue des solistes exceptionnels et un orchestre remarquable, sous l’approbation, déjà teintée de mélancolie, du public enthousiaste.