Malgré son succès et le nombre important de nouvelles productions ces cinquante dernières années, l’Opéra national de Paris affiche Cendrillon pour la première fois de son histoire dans une saison lyrique. Au contraire du dessin animé de Walt Disney que nous avons tous en mémoire, l’opéra de Massenet évite tout sentimentalisme pour s’ancrer dans son époque.
Mariame Clément qui signe sa deuxième collaboration avec l’Opéra de Paris, après Hänsel und Gretel d’Humperdinck, entreprend de faire redécouvrir ce joyau méconnu. Sa mise en scène s’attache tout au long de la représentation à rester solidement enracinée dans l’esprit de la Belle Epoque, soucieux du progrès et confiant en un futur idéalisé avant le traumatisme des guerres mondiales. Chaque acte est précédé d’une vidéo en noir et blanc qui narre le tableau à venir, dans un style qui essaye de rendre hommage au cinéma de George Méliès. Sur les quatre actes de l’opéra, trois se déroulent dans une immense manufacture où trône en majesté une imposante machine aux rouages aussi complexes que multiples. La bête métallique est constituée de plusieurs turbines, de cylindres, d’engrenages, des tableaux de bords démultipliés, de capsules futuristes et autres joyeuses machineries. La scène est littéralement écrasée par cette immense machine qui remplace la demeure bourgeoise suggérée par le livret.
Cette plongée au cœur de l’industrialisation n’est en aucun cas dans le geste dramaturgique de Mariame Clément une occasion de dévoiler le caractère sombre, inégalitaire et mortifère de l’accroissement de l’industrialisation. Les références aux progrès techniques ne sont jamais négatives, la machine n’exerce pas une prédation diabolique, mais au contraire tente de nous fasciner par son gigantisme et son attrait magique. L’accoutrement des servantes et même de Lucette, censé être un haillon défraichi, laisse place à des habits campagnards qui respirent l’opulence et la gaité. Madame de la Haltière est grimée en contremaitre tyrannique d’une chaine industrielle qui fabrique des femmes aseptisées en robe de fleur rose, dans le pur cliché de la poupée Barbie, capables de trouver un mari pour assurer leur survie sociale. La bonne fée électricité quant à elle irradie de luminosité, le corps et la tête parsemés d’ampoules d’une blancheur aveuglante.
© Monika Ritterhaus / Opéra national de Paris
La distribution se hisserait au diapason de la mise en scène si une diction aventureuse du français ne nuisait pas à l’impression générale. Conséquence certainement inexorable de chanteurs à majorité non francophones. La direction de Carlo Rizzi est soucieuse de faire ressortir les voix. L’orchestre est soyeux, notamment les cordes et les cuivres qui délivrent un legato subtil et enchanté tout au long de la soirée. Dommage que la théâtralité des scènes comiques ne soit pas assez soulignée.
Tara Erraught joue et chante une Lucette fragile, sans cesse en désarroi. Cette faiblesse assumée n’empêche pas de puissants graves. Les aigus, bien que tendus, apparaissent cristallins, dans les monologues où la féerie laisse place au tragique. Le duo qu’elle forme avec Anna Stéphany est tout à fait remarquable par la complémentarité de leurs voix, toujours exemplaire. La mezzo-soprano anglaise campe un prince charmant rebelle et affirmé dont la fraicheur du timbre frais émeut. Ensorcelant, le duo à la fin de l’acte III évoque les effluves lyriques de Tristan. Daniela Barcellona domine le plateau par son incarnation burlesque de Madame de la Haltière et cependant tout en nuances. Elle sait se faire dominatrice avec son époux peureux, d’une cruelle bienveillance avec ses filles Noémie et Dorothée, d’une dédaigneuse condescendance face à l’invisible Lucette tandis qu’elle devient balourde et disgracieuse à la cour du roi. Kathleen Kim qui fait ses débuts à l’Opéra national de Paris enchante par sa voix mélodieuse et des suraigus totalement maitrisés. Lionel Lhote, seul protagoniste masculin déçoit par son manque de puissance, malgré un texte prononcé avec soin. Les graves sont étouffés et dans le médium le chant confine à la déclamation. Cette faiblesse vocale renforce le trait de personnalité lâche et fuyant de Pandolfe dont l’autorité ne s’exerce réellement que lors de la scène de la répudiation de sa femme et ses belles filles. Ces dernières interprétées par Charlotte Bonnet et Marion Lebègue n’ont que très peu d’occasion de se distinguer, souvent anéanties par la présence excessive de leur mère.
© Monika Ritterhaus / Opéra national de Paris
L’accueil du public fut enthousiaste malgré un bon nombre de places vides. Espérons que ce taux de remplissage insuffisant ne découragera pas l’Opéra de Paris de programmer des opéras peu souvent joués. Malheureusement la nouvelle saison récemment dévoilée, avec bien peu de surprises et de nouveautés, laisse planer un grand doute sur le renouvellement de ce type de projet musical et scènique.