Bien que Michael Spyres prétende à un répertoire plus large, comme en témoigne son agenda dans les jours à venir*, Rossini demeure son musicien fétiche. Pour preuve, ce récital à l’Athénée intitulé M. Crescendo en référence au surnom moqueur que donna au compositeur du Barbier de Séville la critique agacée de son succès. Le programme conçu avec Mathieu Pordoy, l’accompagnateur attitré du chanteur depuis leur rencontre au Festival Berlioz de La-Côte-Saint-André, ne s’autorise aucune exception à la règle. Rossini et seulement Rossini, mais sans opéra – si tant est qu’on puisse le revendiquer : les pages retenues, extraites pour la plupart des Péchés de vieillesse, ne peuvent renier leur génome théâtral.
En 1855, le musicien, muré dans un quasi-silence depuis le triomphe de Guillaume Tell un quart de siècle auparavant, entamait la composition d’une centaine de pièces instrumentales et d’une cinquantaine de mélodies destinées à distraire les invités de son salon parisien. Réunies sous le nom malicieux de Péchés de vieillesse, ces partitions forment avec d’autres publiées auparavant, notamment les Serate musicali dans les années 1830, un corpus mélodique dans lequel ont puisé les deux artistes pour organiser les numéros de l’ombre vers la lumière, selon une progression voulue « crescendo ». D’où aussi l’intitulé du récital, explique en préambule Mathieu Pordoy.
La soirée commence sous les applaudissements redoublés d’une salle comble. Voilà longtemps que, morosité sanitaire aidant, on n’avait pas vu un public aussi nombreux, et aussi enthousiaste avant même le début d’un concert. A l’ovation qui accueille l’entrée sur scène de Michael Spyres se mesure sa cote de popularité. Pourrait-il en être autrement ? Tant de bonhommie et de joie avouée de partager ce menu rossinien ne peuvent qu’engendrer la sympathie. Dans un français aussi maladroit parlé qu’il semble évident chanté, le ténor évoque ses débuts parisiens il y a dix ans à l’Opéra Comique : Masaniello, La Muette de Portici. Ô souvenirs, printemps, aurore d’un ténor conquérant de l’impossible…
Autorisation est donnée d’applaudir à sa guise entre chaque morceau – et non pendant (rires). Entre les pièces vocales, s’intercalent, gracieuses, parfois virtuoses, des parenthèses instrumentales auxquelles Mathieu Pordoy apporte la précision délicate d’un jeu épouillé d’affèteries. Comme de bien entendu, les acclamations iront crescendo au fil des numéros, d’abord jugulées par l’affliction arpégée de L’âme délaissée, puis entrainées par le flot torrentueux de Roméo qui est au genre mélodique ce qu’A bout de souffle est au cinéma.
Peu à peu, la voix est appelée à sortir de sa zone de confort – et quand bien même la musique ne l’exigerait pas, Michael Spyres ne se satisferait pas d’absence de défi. Vient alors en renfort une technique imparable où la science des effets et l’art de la nuance se placent comme à chaque fois au service de l’expression – on ne dira jamais assez le bonheur d’entendre un ténor triller. L’Invito où le piano tente de distraire le chant de sa mélancolie ; L’Ultimo recordo, interrogation intérieure cortégée par la scansion entêtante de souvenirs que l’on ressent douloureux ; Nizza dressée altière sur un rythme de boléro ; l’évocation gourmande de Naples dans Le Lazaronne ; l’Addio ai Viennesi aussi redoutable qu’un air d’opéra avec ses roulades sur plus de deux octaves ; le tourbillon effréné de La Danza : toutes ces mélodies exhalées ou empoignées, mais interprétées avec autant d’âme que de cœur. Deux soirs auparavant, Michael Spyres chantait à Rome la Messa di gloria – de Rossini évidemment –, partition dont l’exigence n’est pas ici sans conséquence. La voix accuse quelques tensions et dans l’aigu une fatigue qu’il ne faudrait pas qu’un excès de générosité et de témérité rende irréversible.
Mais la tempérance n’est pas une vertu rossinienne. C’est par une conversation informelle précédée d’une poignée de bis dont une Canzonetta espagnola où le belcantiste émérite ne peut s’empêcher d’oser de nouvelles variations, que s’achève ce réjouissant crescendo.
* Verdi, Requiem les 3 et 5 février au Théâtre des Champs-Elysées ; Wagner, Tristan und Isolde, acte II en version de concert le 13 février à l’Opéra national de Lyon