Est-ce parce qu’elle est apparue toute de blanc vêtue et de blondeur que l’on a songé d’abord à la lumière pour qualifier Julia Kleiter ? N’est-ce pas plutôt parce qu’elle met dans sa voix une clarté qui illumine chaque phrase ? C’est cela qu’en quelques années la voix de la soprano allemande a gagné : à la fois une assise nouvelle, et une capacité à détailler le moindre recoin de la partition sans effets ajoutés, par le simple modelé de la phrase, par la seule longueur du souffle.
Les Schubert modérément connus avec lesquels elle entre en matière (et se chauffe la voix) laissent d’emblée apparaître ce matériau lumineux et robuste, notamment dans Ins stille Land, dont les longues phrases nostalgiques sont ouvragées avec une délicatesse infinie. L’on comprend que la chanteuse ait voulu rompre un peu l’ambiance romantique allemande avec du jeune Schönberg, plus extérieurs et plus spontanément dramatiques : en définitive, ce qui lui réussit véritablement le mieux, c’est Waldsonne, de facture et d’esprit tout à fait romantiques
La brassée de Liszt est sans doute la plus belle partie du récital. La difficulté même des Lieder, cette tessiture haute, attestent un art souvent confondant, tant la chanteuse déjoue la technique par le soin de l’expression. Les quatre mélodies françaises sont peut-être le sommet ; elles sollicitent cette mi-voix et cette ligne haute dont Julia Kleiter dispense le sortilège, dans un français parfait d’accent et de legato. Toutes qualités qui la désignent pour Mélisande. Julius Drake est le partenaire serein et inspiré d’une chanteuse désormais très haut dans la galaxie du Lied.