Richard WAGNER (1813-1883)
Tannhäuser
(und der Sängerkrieg auf der Wartburg)
Opéra en trois actes. Livret du compositeur.
Créé le 19 octobre 1845 à Dresde. Version de Paris créée le 13 mars 1861
En haut, Levente Molnar (Wolfram),
En bas Sylvie Brunet (Venus) et Gilles Ragon (Tannhäuser)
Nouvelle production empruntant aux versions de Dresde et Paris
Mise en scène, Jean-Claude Berutti
Décors, Rudy Sabounghi
Costumes, Colette Huchard
Lumières, Laurent Castaingt
Assistant mise en scène et chorégraphie, Daren Ross
Assistant décors, Bruno de Lavenère
Tannhäuser, Gilles Ragon
Hermann, Marek Wojciechowski
Wolfram Von Eschenbach, Levente Molnar
Walter Von Der Vogelweide, Willem van der Heyden
Biterolf, Jean-Philippe Marlière
Heinrich Der Schreiber, Matthew O’Neill
Reinmar Von Zweter, Eric Martin-Bonnet
Elisabeth, Heidi Melton
Venus, Sylvie Brunet
Un jeune pâtre, Christine Tocci
Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Chœur de l’Opéra National de Bordeaux
Chœur de l’Opéra National de Montpellier
Direction musicale, Klaus Weise
Bordeaux, Grand Théâtre, le 8 mai 2009, 19h30
Pari risqué mais tenu
« Ce qu’on risque révèle ce qu’on vaut » écrivait la romancière Jeanette Winterson ; une maxime que Thierry Fouquet, le directeur de l’Opéra de Bordeaux, peut porter à son actif après avoir osé un Tannhäuser qui relève du baptême du feu. A l’affiche, un metteur en scène – Jean-Claude Berutti – qui n’en est pas à son coup d’essai mais signe là son premier Wagner et une distribution dont il s’agit, pour tous ou presque1, d’une prise de rôle. Seul le chef d’orchestre, Klaus Weise, fait figure de vieux briscard. Pourtant à l’arrivée, c’est du côté de la fosse qu’on aura été le moins comblé. Non que la direction du maestro soit à remettre en cause – certains parti-pris de lenteur surprenants au premier abord trouvent leur justification replacés dans le contexte et n’enlèvent rien, au contraire, à la force de l’ensemble – mais l’orchestre se laisse plus d’une fois déborder par l’ampleur de la partition ; les cuivres surtout peinent à unifier leurs sons.
En explorant le drame de l’homme plus que celui de l’artiste, Jean-Claude Berutti ne se livre pas à une réinterprétation du mythe, comme le faisait par exemple Robert Carsen à l’Opéra Bastille, mais se contente d’illustrer scrupuleusement le livret. Excès de timidité sans doute devant le monument Wagner, qui présente l’avantage de la lisibilité. Le Venusberg est enfoui, tel l’enfer, sous une forêt profonde au cœur de laquelle la Wartburg compose une petite communauté aux coutumes et aux costumes austères. Dans cet univers restreint, la liberté d’esprit de Tannhäuser ressort avec plus d’évidence.
Les décors traduisent le principe d’une manière astucieuse ; aux premier et troisième actes, les arbres qui forment la forêt, se soulèvent dans les airs, racines pendantes, tandis que la couche de Vénus, verticale, surgit de sous la scène. Au deuxième acte, la grande salle des troubadours se présente comme une modeste chaumière de bois dont les fenêtres ouvrent sur la forêt.
Décors concrets pour une lecture respectueuse qui n’hésite pas à s’abstraire lors de l’ouverture, jouée rideau fermée, ou dans les passages plus contemplatifs – prière d’Elisabeth, romance à l’étoile… – sans pour autant livrer les chanteurs à eux-mêmes. Le travail autour des relations entre Elisabeth, Wolfram et Tannhäuser est remarquable. Autre difficulté surmontée dans un opéra qui comprend de nombreux ensembles, les mouvements de foule n’apparaissent jamais contraints malgré l’exigüité du plateau. Certains, habitués à plus de débordements (on pense notamment au scandale provoqué par la vision d’Oliver Py à Genève), trouveront le résultat trop sage. D’autres (les mêmes pour la plupart) crieront au sacrilège en découvrant les coupures pratiquées dans une partition qui du coup hésite entre la version de Dresde et de Paris. On apprécie au contraire ces partis-pris. Densifiant l’action, simplifiant sa traduction, ils rendent le drame immédiat.
Heidi Milton (Elisabeth) et Gilles Ragon (Tannhäuser)
On l’apprécie d’autant plus que l’interprétation atteint des niveaux auxquels on ne s’attendait pas : des seconds rôles qui tiennent honorablement leur partie avec notamment un Landgrave, Marek Wojciechowski, d’une belle présence et d’une profondeur toute slave ; les chœurs des opéras de Bordeaux et Montpellier qui unissent fermement leurs forces sans oublier de nuancer leurs effets et sans donner une seule fois l’impression qu’il s’agit à l’origine de deux formations différentes ; et surtout des protagonistes de premier plan.
En Elisabeth, Heidi Milton, soprano américaine que l’on n’a jamais entendue ou presque en Europe, est une révélation : voix puissante, homogène d’un extrême à l’autre de la tessiture, qui s’impose sans peine face à tous les hommes dans le grand finale du II. Il n’y a rien de tendu ou de forcé dans ce chant magnifié par l’ampleur et la rondeur du son. Il déroule son flot jaillissant aussi bien dans le murmure – une prière sur le fil, juste et tangible – que dans l’éclat – un « Dich, teure Halle » lumineux qui enthousiasme dès la première note et fait oublier un physique pas forcément conforme à l’idée que l’on se fait du personnage.
Sylvie Brunet montre la même générosité, Vénus gourmande avec des accents qui peuvent sembler datés, une ligne tendue, quelques aigus qui plafonnent mais immense dans la séduction – un « Geliebeter, komm » envoûtant – comme dans l’imprécation – les déchainements de « Zeih hin, Wahnbetörter » donnent le frisson.
Levente Molnar, jeune baryton roumain de 26 ans, pouvait sur le papier sembler trop jeune pour traduire la noblesse de Wolfram. Mise à part une romance à l’étoile digne mais encore un peu appuyée (tout est dans la musique ; inutile de surajouter couleurs et intentions), il campe un chevalier d’une mâle beauté, droit sans être raide et sensible à la fois.
A la lumière de son Werther ici même il y a trois ans ou encore de son Raoul à Liège (Les Huguenots), on n’aurait pas forcément misé sur le Tannhäuser de Gilles Ragon. A tort ! Passées quelques raideurs dans les hymnes à Vénus, le ténor français réalise à partir du deuxième acte des prouesses d’héroïsme et d’expression qui culminent au troisième dans un récit de Rome habité avec des choix d’interprétation audacieux mais payants (l’imitation de la voix du pape). Comme quoi, Claude Lelouch avait raison quand il déclarait « N’écoutez pas les critiques, prenez des risques » ; une autre maxime à garder en mémoire.
Christophe Rizoud
1 Jean-Philippe Marlière en Biterolf et Matthew O’Neill en Heinrich Der Schreiber sont les deux exceptions qui confirment la règle.
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