« Je chante Haendel depuis que je suis enfant, et j’ai même écrit sur lui. Et, même si je ne chante pas assez de Lully et de Rameau, je suis fasciné par la musique baroque française, que j’interprète avec beaucoup de joie : elle a une couleur, une qualité harmonique, un traitement des mots très différents ! », dit le ténor Ian Bostridge au sujet du récital donné à Dijon ce dimanche 13 mars. Un superbe parcours dirigé par Christophe Rousset et ses Talens Lyriques dans l’univers baroque, de Lully, à Haendel, en passant par Purcell et Rameau, voilà donc ce qui nous est promis. On ne présente plus ni le premier, à la maturité vocale et musicale épanouie, au timbre reconnaissable entre tous, ni le second que ses qualités placent au tout premier rang des interprètes baroques.
Dès l’ouverture d’Amadis, tout est là : la majesté et la grâce. Il en ira de même de toutes les pages orchestrales. Peut-on surpasser les Talens Lyriques, conduits par Christophe Rousset ? La direction est inspirée, souple, attentive, impulsant ce qu’il faut d’énergie, imposant des phrasés exemplaires, des accents toujours justes, des nuances et des contrastes parfaits. Les cordes, soyeuses, nerveuses et agiles, les flûtes (traversières ou à bec) babillardes et colorées, un continuo discret et toujours élégant, que demander de plus ?
La stature élancée de Ian Bostridge, son engagement physique ne sont pas sans rappeler un autre ténor, singulier s’il en fut, Hugues Cuenod. La voix est sans commune mesure, sonore, bien timbrée, d’une large tessiture, projetée à merveille, avec une ligne très soutenue, un galbe singulier. L’ornementation riche, jamais ostensible, renouvelée, paraît naturelle. L’intelligence du texte et du livret, la pronociation sont telles qu’il en remontrerait à plus d’un chanteur français, locuteur natif… Ne parlons pas de l’anglais de Purcell et de Haendel. Après l’air où Amadis déplore l’indifférence d’Oriane, c’est le célèbre air du sommeil de Renaud qui retient l’attention. Le caractère champêtre souligné par la ritournelle participe à ce modèle de style, d’élégance raffinée. L’air, bref, du marin de Didon et Enée permet de découvrir ce ton simple, populaire, sans apprêt que le chanteur trouve naturellement. L’aisance et le naturel, avec une intense poésie, pour les deux autres airs de Purcell vont nous conduire à Rameau. Toute la palette expressive est mise à profit dans les deux airs de Pygmalion dont « Règne Amour, fais briller tes flammes », qui sera repris en bis : le chant s’y fait virtuose, avec une agilité et une longueur de souffle peu communes. Jelyotte, le créateur devait être réellement un chanteur prodigieux. Les deux grandes pages de Haendel, où la dimension orchestrale est amplifiée, avec un récitatif accompagné introduisant l’air de Jephta, permettent d’achever ce récital sur des sommets. La première collaboration de Ian Bostridge et de Christophe Rousset, parfaitement aboutie, permet d’augurer une suite. Le concert, enregistré à Dijon, sera diffusé sur Culturebox le lundi 21 mars à 20h30.