Par une amusante coïncidence, celui qui allait faire parler avec tant d’éloquence la prophétesse fille de Priam fut aussi l’un des plus ardents défenseurs d’un opéra qui met Cassandre au cœur de son action. Berlioz voyait en Spontini « le génie du siècle », mais Cassandre des Troyens n’a rien à voir avec Cassandre d’Olympie : dans l’opéra offert en 1819 par l’auteur de La Vestale, les deux principaux personnages masculins portent les noms ambigus de Cassandre et d’Antigone. Ces princes sont rivaux pour l’amour d’Aménaïs, dont on apprend bientôt qu’elle est en réalité Olympie, fille d’Alexandre le Grand, sauvée de Babylone par Cassandre. Comme Olympie aime Cassandre, tout devrait être pour le mieux. Hélas, la mère de la jeune fille, Statira, est persuadée que Cassandre est le meurtrier d’Alexandre et s’oppose donc à leur union. Par chance, le dénouement révèle que l’assassin est en fait Antigone, d’où un happy end possible. Enfin, dans la version de 1821, car en 1819, c’était tout le contraire, puisque la mère et la fille se suicidaient avant que Cassandre ait pu être innocenté.
Comme Tancredi, Olympie est donc un de ces opéras qui possèdent un lieto fine et un final tragique. Du reste, le rapprochement avec Rossini est aussi justifié par la musique, souvent très proche du style serio du maître de Pesaro. D’autres influences se mêlent aussi, venues d’Allemagne ou de France, et si Berlioz admirait tant Gluck, c’est sans doute un peu à travers le filtre de Spontini, qui respecte certains codes du tragique gluckiste. Seul reproche d’Hector : l’abus de cuivres, en partie lié au climat belliqueux dans lequel baigne l’œuvre, puisque les princes rivaux tiennent leur armée prête à intervenir. En tout cas, la partition est assez stupéfiante, avec des audaces imprévisibles, des enchaînements étonnants et de brusques changements de climat.
A moins que cette brusquerie ne vienne en partie de la direction de Jérémie Rhorer, qui ne laisse pas un instant de répit à son Cercle de l’Harmonie, au point de sonner parfois un peu brouillon. Fouetter l’orchestre (au sens figuré), c’est bien, mais on se demande parfois si l’impression de fébrilité ne tient qu’à Spontini. Prestation exemplaire, une fois de plus, du Chœur de la radio flamande, qui joue ici un rôle essentiel, très présent pour des interventions où se mêlent les voix contradictoires de différents groupes de la population d’Ephèse, et avec une admirable qualité de diction.
Parmi les solistes, différentes écoles se côtoient, ce qui reflète certes la diversité d’inspiration de Spontini, mais tous n’ont pas nécessairement le profil exact qu’on attendrait. L’incarnation la plus remarquable vient peut-être de Kate Aldrich, qui bénéficie d’un rôle en or avec Statira, tantôt furie vengeresse, tantôt mère attendrie et veuve éplorée. En 1819, le personnage avait été créé par une star, Caroline Branchu, et la mezzo américaine profite de chaque occasion de déployer un talent auquel le répertoire français convient fort bien, tant en termes de style que de diction. Si Olympie est le rôle-titre, ce n’est pas pour autant le plus passionnant d’un point de vue dramatique, et Karina Gauvin semble éprouver un peu de peine à la faire exister ; plus à l’aise dans la douleur que dans la véhémence, elle se rattrape néanmoins avec un fort bel air du dernier acte qu’elle interprète avec cette grâce qui fait d’elle une grande mozartienne. Chez les hommes, on apprécie l’autorité de Patrick Bolleire en grand-prêtre. Josef Wagner s’exprime dans un très bon français et donne au « méchant » Antigone toute la noirceur attendue. Reste le cas de Cassandre, pour lequel Charles Castronovo a de nouveau fait faux bond au Palazzetto Bru Zane, comme pour Cinq-Mars de Gounod. Comme pour Cinq-Mars, le Centre de musique romantique française a donc fait appel à celui qui avait alors fait beaucoup mieux que sauver les meubles : Mathias Vidal est ici dans une musique chronologiquement plus proche de ses terres d’élection, et pourtant le miracle n’opère pas tout à fait : Cassandre n’est pas un rôle de jouvenceau, mais d’homme mûr, et l’aigu est rarement très sollicité. Entendu depuis le premier balcon du Théâtre des Champs-Elysées, le ténor français semble souvent couvert par l’orchestre, voire inaudible dans les notes graves. Espérons que l’indispensable enregistrement viendra corriger cette impression, et saluons en tout cas la résurrection majeure d’une œuvre, on le répète, assez stupéfiante et que l’on aimerait voir en scène.