Encore une production rescapée de la crise covidaire. Initialement prévu en juin 2020, reprogrammé en 2021, de nouveau annulé puis finalement capté à huis clos, Le Voyage dans la lune est enfin représenté sur la scène de l’Opéra Comique. Et visuellement, c’est un enchantement. Sur les affinités entre Offenbach et Laurent Pelly, faut-il revenir ? Nul ne sait comme lui exprimer l’humour et la poésie induits par cette musique. Son approche, inspirée à la fois par le cinéma muet et la bande dessinée, ne laisse pas de place au hasard. Le (sou)rire nait du mouvement autant que du burlesque des situations. A la planète Terre souillée de déchets s’oppose une lune vierge mais privée d’amour. Les costumes adoptent le même parti pris symbolique. Sombre ou vive, la couleur des habits terriens contraste avec le blanc immaculé de toilettes lunaires qui rivalisent d’imagination – mention spéciale pour la silhouette burlesque de Cosmos en forme de bouteille d’Orangina. Las, la confrontation entre ces deux mondes antagonistes tombe à plat. La faute à l’adaptation du livret dont l’argument se dissipe dans la surenchère féérique. Les intrigues nouées au fil des premiers tableaux ne se dénouent pas dans les derniers, motivés d’abord par le Ballet des Flocons de neige – ici réduit à un seul mouvement –, et par un clair de Terre du plus bel effet.
© Stéphane Brion
Musicalement, l’impression est plus mitigée. A l’origine de ce Voyage dans la lune – à ne pas confondre avec celui proposé ces derniers mois par Génération Opera et le Palazetto Bru Zane – le désir d’Olivier Mantei et de Sarah Koné de créer une « vraie production lyrique » pour les jeunes interprètes de la Maîtrise populaire de l’Opéra Comique. L’intention est si louable que l’on s’en veut de ne pas y souscrire entièrement.
La partition a été écourtée, son orchestration réduite. Là n’est pas le problème, même si l’on préfère une version intégrale, au plus près des intentions originales. A défaut d’un large nuancier instrumental, Alexandra Cravero sait animer le récit sans abuser de la vivacité qui pourrait paradoxalement en altérer la fantaisie. Le Voyage dans la Lune comprend un grand nombre de numéros avec chœur, propres à mettre en avant les élèves de la Maîtrise populaire. Jeunes voix obligent, la couleur chorale accuse un défaut de contraste mais l’aisance scénique, la justesse et la précision des ensembles témoignent de l’aboutissement du travail réalisé par Sarah Koné et ses équipes depuis le lancement de l’initiative en 2016.
Les solistes ont été recrutés parmi les meilleurs éléments de la compagnie, à l’exception de Franck Leguérinel qui dans le rôle du roi V’lan apporte à l’ensemble son crédit offenbachien. Ces talents en herbe, âgés la plupart d’une vingtaine d’année, ont encore du chemin à faire. Nos encouragements les accompagnent. Seule s’impose vraiment Ludmilla Bouakkaz. Sa Fantasia ajoute à une jolie voix capable de traits virtuoses ce don que l’on n’acquiert pas forcément sur les bancs de l’école : la présence. La plus grande frustration reste d’avoir confié à un ténor le rôle du Prince Caprice, initialement dévolu à Zulma Bouffar, soprano pétillant et agile auquel Offenbach avait réservé les meilleurs numéros de la partition. Cette mauvaise idée ne rend pas service au jeune Arthur Roussel, en difficulté avec une écriture trop brillante au point que le Rondeau de l’obus au premier acte est chanté par Frank Leguérinel. « L’interprétation du Voyage dans la Lune repose toute entière sur Mlle Zelma Bouffar qui a fait du prince Caprice une de ses meilleures créations », écrivait le journal La Comédie en 1875. C’est dire sans s’attarder davantage notre frustration.