Avec L’Amour masqué, cette comédie musicale composée par André Messager en 1922 à Royan et créée un an plus tard au Théâtre Edouard VII à Paris, on entre de plein fouet dans l’univers affété de l’auteur du livret : Sacha Guitry. Les deux premiers rôles – Elle et Lui – furent pensés à l’exacte mesure du couple qu’il formait alors avec Yvonne Printemps. Elle chante beaucoup, Lui ne quitte jamais les rivages du théâtre parlé. La relation pere-fils, thème cher au dramaturge français, motive une partie de l’intrigue et la musicalité du style taquine un livret écrit en vers où pétillent les aphorismes et les bons mots.
Pour illustrer les trois actes de cette opérette plus belle époque par la musique et l’esprit qu’années folles (contrairement à ce que laisserait supposer la date de sa création), Bernard Pisani a imaginé un décor unique d’un kitch assumé : un plateau tournant – lit surmonté d’un Apollon doré au premier acte, bassin aux deuxième et troisième actes – encadré par deux pavillons rouges et couronné d’une guirlande de roses en stuc blanc. Dans cet univers bollywoodien, badinent en costume d’époque les personnages de la farce. Le ton se veut rythmé, enlevé mais jamais décalé.
Un même sérieux caractérise l’approche musicale. Originaire d’Outre-Manche, comme le fait plaisamment remarquer le Maître d’hôtel (Olivier Bekrataoui), Geoffrey Styles dirige avec une rigueur toute britannique un orchestre réduit à une trentaine de musiciens – l’effectif de la création.
Brigitte Hool, par ailleurs Micaela, Santuzza et bientôt Elisabeth de Valois aux côtés de Ramon Vargas, a été choisie pour interpréter Elle. Le rôle appelle-t-il une voix aussi nourrie ? Le format vocal d’Yvonne Printemps était celui d’un soprano léger. On ne va tout de même pas se plaindre que la mariée soit trop belle. De son illustre devancière, Brigitte Hool possède l’allure et une diction suffisamment claire pour que l’on puisse goûter chacune des répliques chantées que Guitry lui a amoureusement confiées. L’actrice a plus de mal à rendre fluides les rimes de son texte. Les vers en revanche ne posent pas de problème à Jean-Louis Pichon (Lui) dont la stature et le naturel de la déclamation prouvent, si l’on en doutait, qu’il est homme de théâtre à part entière.
Pour la même raison – la netteté de la prononciation – on remarque l’Interprète de Franck Cassard, authentique et réjouissant trial dans une opérette qui ne fait pas la part belle aux ténors. Bernard Pisani, qui joue lui aussi dans cette catégorie et que l’on retrouve en baron, n’a qu’un tango pour briller. La mélodie sentimentale, celle qui fait chanceler les cœurs, revient au baryton Michel Vaissière (Le Maharadjah), que l’on aimerait encore plus seduisant dans cet air teinté de mélancolie. Les deux servantes, Chloé Brillot et Eugénie Danglade, font de leur mieux pour servir un ouvrage dont, en fin de compte, on ne peut s’empêcher de trouver la légèreté datée. La musique, exempte de facilités, n’a pourtant rien perdu de son élégance. Les numéros – tendres, délicats, délicieux, malicieux, satiriques ou carrément bouffes – font de la partition un collier de perles fines. Ce n’est pas Messager qui a vieilli mais Guitry.