On s’était presque résigné à ne plus entendre Natalie Dessay que dans les mélodies de Michel Legrand et les chants brésiliens auxquels elle a consacré ses deux derniers albums. Mais avec Philippe Cassard, qui avait déjà su la convaincre, en 2011, d’enregistrer un disque Debussy, c’est en Liedersängerin que la soprano revenait Salle Gaveau, à l’invitation des Grandes Voix, porter un programme dont il faut dire l’ambition et la difficulté. Les rares mélodies de Clara Schumann, données en ouverture, font figure de curiosité – particulièrement « Liebst du um Schönheit », sur un poème de Rückert plus connu pour avoir également inspiré Gustav Mahler, soixante ans plus tard. Natalie Dessay s’y montre appliquée et quelque peu timide, ne fendant l’armure que dans l’éclat voluptueux de « Er ist gekommen in Sturm und Regen » (encore un texte de Rückert). Les pièces de Brahms et de Strauss confirment ensuite ce qui manque à cette voix pour faire écho à toutes les richesses de la langue allemande : une capacité à doser les couleurs pour parer les voyelles de nuances plus subtiles, une meilleure articulation des consonnes pour donner au texte tout son écho. Sur scène, les pirouettes et les mimiques veulent montrer ce que les mots ne savent dire. Et la technique, toujours prodigieuse (un « Lerchengesang » de funambule), ne parvient pas non plus à maquiller, ce soir, les limites d’un aigu qui se fissure, les toux que la chanteuse ne peut réprimer entre deux mélodies semblant suggérer une petite méforme vocale.
Triste soirée, alors ? Pas vraiment, car Natalie Dessay, que l’on sait parfois réfractaire à l’exercice du récital, est ce soir visiblement heureuse d’être sur scène et de défendre ce répertoire. La collaboration avec Philippe Cassard est, à n’en pas douter, pour beaucoup dans ce changement d’attitude. Pas seulement parce que son jeu, robuste et infaillible, est on ne peut plus sécurisant pour un chanteur : c’est une forte complicité qui semble véritablement les unir, et qui donne à ce récital de faux airs de soirée entre amis. Après l’entracte, les pièces de Fauré la montrent plus confiante, disant avec gourmandise les poèmes de Verlaine. Mais ce sont surtout les Fiançailles pour rire de Poulenc, avec ses moments de drôlerie (« Violon ») et ses passages hallucinés (« Dans l’herbe ») qui s’offrent le mieux à son tempérament de comédienne – peut-être même davantage que les Debussy un peu inhibés donnés en clôture officielle de programme. Dans les bis, difficiles et difficultueux (l’aigu, toujours), mais généreux et touchants, conclus par « Tu m’as donné le plus doux rêve », Natalie Dessay donne à ses admirateurs nostalgiques de beaux souvenirs, et les larmes aux yeux.