L’année 2021 a été son millésime, avec une Gilda bouleversante à la Bastille, des débuts électrisants en Traviata à Florence et en Lucia à Barcelone. Avec sa technique souveraine, son aisance déconcertante, Nadine Sierra a tutoyé les cimes et fait chavirer le cœur des lyricomanes. C’est donc auréolée de ses récents succès que sous l’œil des caméras de TF1 et de Medici tv, la jeune soprano s’est donnée toute entière, ce vendredi soir à Gaveau, soulevant l’enthousiasme du public dans un programme idéal pour cette voix qui ne cesse de nous séduire. Le tout dans le même écrin de lumières que les autres récitals labellisés « Be Classical », des tubes LED entourant la scène, ouvrage des Maîtres artisans de la scénographie lyonnaise de la Fête des Lumières.
Rayonnante dans une robe lamée or, Nadine Sierra se jette, sans se poser de questions, dans les flammes de son art et ose d’emblée tout, déployant une énergie virtuose, un aigu et un suraigu impériaux, un souffle long qui soutient un legato parfait. Toutes ces qualités dont elle fait une démonstration éclatante, en ouverture du programme, dans la valse d’entrée de Juliette « Ah, je veux vivre » de Roméo et Juliette. De même, dans le « è strano…sempre libera » de La Traviata, le succès paraît assuré avant même que la soprano ait émis une seule note. En action, elle enchaîne trilles et vocalises avec une agilité confondante. Le registre aigu est électrisant. Nadine Sierra brille tout autant dans la caractérisation du personnage dont elle épouse avec subtilité la complexité. Elle donne libre court à la frivolité de la courtisane dans l’éclat des salons et des bulles festives du champagne, tout en laissant entrevoir déjà, par ses accents et couleurs, les affres et les douleurs de l’héroïne déchue. Elle sait désormais donner essence humaine à un personnage au-delà de sa parure de perles vocales.
Malgré ses évidentes qualités belcantistes, Nadine Sierra démontre qu’elle est aussi une soprano lyrique qui sait doser ses effets, loin de la pyrotechnie vocale. En Mimi, elle compose, par toute une palette de variations et de nuances, un portrait remarquable qui anticipe déjà toute l’évolution du personnage dans son chemin de croix vers une déchéance annoncée. Mais au sein de ce chant brillant à la technique souveraine, l’auditoire perçoit aussi les palpitations du cœur, les afflictions et les espoirs, qui faisaient parfois défaut jadis à la chanteuse tant le chant apparaissait souvent esthétiquement beau, mais dépourvu de fibre humaine. Cette texture de chair et de sang, on l’entend également désormais, non seulement dans l’air de Mimi, mais aussi dans « O mio babbino caro » dont elle gratifiera le public en bis, avec « Depuis le jour » de Louise de Charpentier avec lesquels elle fera de nouveau chavirer le public.
Dans la seconde partie de programme, après un Mozart en demi-teinte, « Ruhe sanft » où l‘on aurait attendu davantage de finesse dans une langue qui lui semble encore étrangère, l’artiste nous amène hors des sentiers battus de l’opéra, en offrant une somptueuse relecture du « Somewhere » de West Side Story, mettant en lumière un registre grave qui ne manque pas de séduction. Elle poursuit sa route avec la Zarzuela de Geronimo Giménez, El barbero de Sevilla qui se nourrit des fièvres voluptueuses de l’Espagne. Tour à tour mutine, séductrice en diable, Nadine Sierra se glisse dans les habits de Carmen sans en avoir la tessiture, mais incontestablement le charisme et l’abattage. Prenant ensuite la parole, la chanteuse a remercié le public de sa présence rappelant que sans soutien, l’artiste n’est rien et que pour faire de notre planète un monde meilleur (« Make our planet great » le thème du concert) il faut se rassembler autour du language universel de la musique. Rendant ensuite hommage à sa maman et à ses origines latines, l’artiste enchaine avec « la melodia sentimentale » de Floresta do Amazonas de Villa-Lobos. Dans le répertoire espagnol, Nadine Sierra est incontestablement dans son jardin, usant une fois de plus à dessein de la séduction de son registre aigu étincelant pour nous mettre à genoux. Insatiable, la jeune artiste ne quittera la scène qu’à 23 heures après deux heures et demi d’un one woman show éblouissant où, en maitresse de cérémonie, elle a dispensé une leçon de chant et conduit le public vers les sommets.
Si le velours de la voix a ravi l’auditoire, la parure revêtue par l’évènement, laisse davantage interrogatif. Le ballet des éclairages installés sur scène, abordant ici le thème de l’écologie et la préservation de la planète, a envahi l’espace et le champ de vision du spectateur, effets superfétatoires qui n’apportent rien au feu d’artifice vocal, seule attraction évidente de la soirée.
La direction de Mathieu Herzog, à la gestuelle singulière avec une main gauche en figures libres, manque parfois de subtilité et de nuances, dès qu’on s’éloigne des rives verdiennes survoltées. Les musiciens de l’Ensemble Appassionato ne déméritent pas. Cette petite formation, qui sonne comme une grande, se met pleinement au service de la chanteuse et le plaisir de se produire ensemble relève alors de l’évidence. Une soirée mémorable qui s’est achevée sur une standing ovation amplement méritée.