L’une des dernières chances d’admirer l’Abigaille d’Anna Pirozzi, c’est ce soir à Peralada. Une source bien renseignée nous informe qu’elle s’éloignera sans doute bientôt d’un rôle qu’elle a chanté sur la plupart des grandes scènes européennes (sauf Paris bien entendu) et avec lequel elle fera ses débuts à Zurich dans quelques semaines. C’est surtout pour elle que l’on rejoint ce soir le cadre enchanteur du festival d’opéra catalan. Elle rejoint le club très fermé des grandes interprètes du rôle grâce à sa technique belcantiste d’abord, là où beaucoup se contentent de jouer les bulldozers à travers cet Everest vocal verdien. La tessiture d’abord est crânement assumée, quitte à poitriner, voire faire appel à la voix parlée mais très proprement, ou à métalliser les suraigus, lesquels dominent de façon phénoménale tout l’effectif. Cette robustesse technique, on en entend le plus brillant exemple dans le trio de la première partie, où un premier aigu supersonique est émis avec une assurance mécanique, avant que la phrase ne soit répétée avec ce même aigu, cette fois-ci sur le fil de la voix. Le texte enfin, est prononcé de façon idiomatique et avec subtilité. Avec de tels moyens, on comprend qu’elle cherche à s’orienter vers des rôles bel cantistes moins guerriers. Seul son medium manque un peu d’ampleur (« Viva Nabucco » un peu serré) et ses trilles ne sont souvent qu’esquissés (ascension des aigus du « Salgo già del trono aurato »).
© Miquel Gonzalez
Exister face à une telle force de la nature n’est pas chose facile. Tous ses collègues sont néanmoins loin de faire pâle figure. A commencer par le Nabucco de George Petean. Avouons-le, ce n’est pas notre rôle de baryton verdien favori, mais le chanteur roumain fait montre d’une grande élégance dans la prosodie ; on aurait certes aimé une fureur plus extérieure lors du pillage du temple, mais pour une prière si maitrisée, cela valait le coup de s’économiser. En Zaccaria, Alexander Vinogradov est encore plus racé : son autorité naturelle rayonne dans ses longues déclamations exécutées avec soin et ferveur. Dommage que Silvia Tro Santafé ne se produisent dorénavant presque plus en dehors d’Espagne, sa Fenena est en tout point admirable, notamment pour sa puissance d’émission (inhabituelle pour ce rôle assez mineur souvent distribué à des seconds couteaux) équilibrant idéalement les ensembles auxquels elle participe, et toujours ce vibratello très serré qui la signale immédiatement. Ismaele est chanté de façon enthousiaste par Mario Rojas, acteur très investi quoiqu’un peu maladroit, jouissant de beaux aigus mais au medium plus fragile et à la voix moins volumineuse. Mentionnons également de très bons seconds rôles, comme le sombre Grand Prêtre de Simon Lim ou l’Abdallo solide de Fabian Lara.
Si ce concert est si réussi, c’est aussi qu’il arrive directement de Madrid où il a été donné plusieurs soirs en version scénique. D’où un chœur de l’opéra de Madrid vraiment saisissant : avec plus d’une centaine d’artistes sur une si petite scène, obtenir une telle netteté est vraiment éblouissant, surtout allié à une parfaite science des contrastes et du volume.
L’orchestre de l’opéra de Madrid enfin se hisse au même niveau d’exactitude. Dirigé au cordeau par Nicola Luisotti, on aimerait cependant plus d’abandon dans les passages poétiques (seconde partie de l’ouverture plus métronomique qu’inspirée) et des fanfares plus dramatiques que militaires.