Praguois, Mozart eût-il fini sa vie avec plus de succès et d’honneurs qu’il n’en reçut à Vienne ? La légende raconte que la reprise des Noces de Figaro, en 1786, dans ce qui était alors la capitale de Bohême, fit un tel triomphe que l’on sifflotait « Voi che sapete » ou « Non piu andrai » dans les rues, avant que Don Giovanni y reçoive à son tour son lot d’acclamations. Cette popularité n’a sûrement pas été étrangère à la commande de la Clémence de Titus, créée au Stavovské divadlo [Théâtre des Etats] le 6 septembre 1791 pour célébrer le couronnement de Leopold II comme Roi de Bohême. Cet opéra seria au livret plus conventionnel que ceux de la « trilogie Da Ponte », fut plus fraîchement accueilli ; sa musique n’en montre pas moins un Mozart au sommet de sa créativité mélodique et de son inventivité instrumentale, illustrée par une prédominance des bois à laquelle l’influence des musiciens d’Europe Centrale pourrait ne pas être étrangère. Laurence Equilbey invite ainsi le clarinettiste puis le cor de basset à partager le devant de la scène avec la chanteuse dans les airs de Sesto et de Vitellia donnés en ouverture de programme. « Parto, parto, ma tu ben mio » tombe sans un pli sur la voix ample et capiteuse de Cecilia Molinari. Avec son timbre sombre, ses vocalises précises, son ambitus confortable, la jeune mezzo italienne, encore jamais applaudie en France, n’a pas besoin de plus de cinq mesures pour brosser un portrait sensible de ce jeune amoureux inquiet. Mais « Non piu di fiori » la montre tout aussi à l’aise en prima prise entre la peur et le repentir – et la tessiture, si redoutable, ne lui pose pas le moindre problème. C’est encore en tragédienne, et avec Haydn cette fois, que Cecilia Molinari prend congé, s’appuyant sur son agilité à varier les registres pour livrer une Scène de Bérénice aux changements de tons et de dynamique parfaitement maîtrisés, mais à l’intensité savamment maintenue.
L’épilogue évident de ce concert était la Symphonie n° 38 K. 504 de Mozart, à laquelle le surnom « Prague » fut justement accolé par le compositeur pour rendre hommage à une ville si favorable et généreuse. Laurence Equilbey obtient de son Insula Orchestra une lisibilité et une souplesse soulignant le moindre développement du fascinant mouvement initial, qui contient assez de motifs et de nuances pour offrir la substance d’une symphonie entière. L’Andante ne perd pas son temps, comme s’il portait en lui les péripéties du trépident Presto final : là, les cordes perdent parfois en précision, et les cuivres en justesse ; des lacunes vite récupérées dans une ouverture de Don Giovanni idéalement tragique, donnée en bis.