Un petit prince et un mouton… La librettiste néerlandaise Sophie Kassies reprend la formule éprouvée de Saint Exupéry comme un clin d’oeil pour Mouton, un pasticcio initiatique qui se veut également introduction au répertoire baroque pour le jeune public. Mouton ( Julien Freymuth) vit anonyme au milieu de son troupeau jusqu’à sa rencontre avec Lorenzo (Sébastien Dutrieux), prince en fuite qui refuse son nom en raison d’un héritage trop lourd à porter. L’amitié qui lie rapidement les deux personnages plonge Mouton dans un gouffre existentiel : cette amitié le rend unique, et pourtant il n’a pas de nom, il n’est donc pas un individu à part entière.
Le voyage qu’il entreprend alors en quête d’identité suit la trajectoire inverse de celle du prince qui aspire à l’anonymat. Il les mènera du cimetière – où tout ce qui vous reste, c’est votre nom – à une confrérie religieuse qui vous le confisque, en passant par un bal où masqué, l’on peut échapper à soi-même. Les deux amis finiront par reprendre chacun leur rang, qui sur le trône, qui au sein du troupeau ; à ceci prêt que désormais, leur place dans le monde ne sera plus subie mais choisie.
Anna Stolze a eu la belle idée d’une plateforme rotative sur laquelle se déroule l’essentiel de l’action. Ainsi, elle rend perceptible la dimension circulaire de cette expérience qui ramène ses protagonistes à leur point de départ. Les artistes peuvent s’y cacher, la transformer en portail, en cimetière en en verticalisant certains éléments, ou encore faire descendre des cintres tout un attirail d’accessoires aussi charmants que loufoques. A cette scénographie brillante, complétée par de très beaux costumes, Rogier Hardeman adjoint une direction d’acteur intelligente, précise, où même les trois instrumentistes deviennent partie prenante de l’histoire. Il n’est pas toujours facile d’obtenir un véritable engagement scénique des musiciens. Or les artistes de la Chapelle Rhénane, bêlant de concert, sont tout à fait convaincants. Ils sont également très bien entourés par un comédien de haute volée, habitué des scènes lyriques – Sébastien Dutrieux – ainsi que par deux bons comédiens-chanteurs. Julien Freymuth, juvénile, dégingandé, incarne le rôle-titre en lui insufflant une naïveté touchante. Le contre-ténor n’est peut-être pas au mieux de sa forme en cette journée glaciale : les aigus sont un peu pincés, le second air chanté mezza voce à l’excès ; qu’importe, Mouton nous touche et c’est là l’essentiel. Anaïs Yvoz, membre cette année de l’Opéra Studio de l’Opéra du Rhin, lui donne la réplique avec brio. La voix est charnue, remarquablement homogène dans l’ensemble des registres et bien timbrée dans les graves .
D’après le programme, Mouton relève du genre du théâtre musical et ce que l’on peut regretter peut-être, c’est que cette équipe talentueuse ne serve pas des partitions plus marquantes. Ceci dit, les pièces courtes choisies chez Purcell, Haendel ou Monteverdi acceptent aisément les textes français de circonstance – une tradition éminemment baroque. De même, la réduction à trois instruments (claviers, violone et harpe) fonctionne bien même si le volume est un peu faible parfois, notamment, et c’est logique, sur le Presto de l’Estate de Vivaldi. Cette évocation de tempête s’agrémente d’artifices scéniques de l’époque, qui, tout comme la fluidité de l’alternance parlé/chanté, permet au jeune public de se glisser aisément dans les codes du répertoire baroque.
Crée il y a 5 ans, ce spectacle connaît un succès qui ne se dément pas. Il sera repris fin janvier à Mulhouse, puis en février à l’opéra de Metz.