Murger, Puccini et Aznavour ont contribué à donner à la vie de bohème un attrait universel, laissant vite de côté la misère pour s’intéresser surtout à tout ce qui fait le charme de cette jeunesse sans-le-sou : camaraderie, art, liberté, amour… La mise en scène de Jean-Romain Vesperini au théâtre du Bolchoï pousse ce penchant un cran plus loin en faisant de l’opéra un vrai défilé de mode, laissant penser que la bohème est passée du statut de guenilles à celui de haute couture. Le deuxième acte, censément dans le quartier latin puis au café Momus, est une véritable effervescence de laquelle jaillit, entre autres et dans le désordre, un ours, un prestidigitateur, une femme coiffée d’un oiseau, toute une foule bariolée dominée par la figure de Musetta, conduisant un caniche impeccablement peigné.
Ce luxe foisonnant a néanmoins le mérite certain de donner au deuxième tableau, moins prodigue en airs, plus de caractère ; au point même de devenir, de façon intéressante, le cœur de l’opéra, comme un climax de gaieté, d’insouciance et d’amour entre deux chapitres caractérisés par une vie de bohème autrement plus authentique (même si, bien sûr, cette bohème a la beauté léchée d’une carte postale). Ce deuxième tableau culmine en outre, avant l’entracte, avec la prestation assez bluffante de la Musetta d’Anna Aglatova, débordant de panache et d’assurance pour gagner l’attention de tous : sur le plan visuel, comme sur le plan acoustique, avec une voix aussi sensuelle qu’incisive. Le Marcello du baryton Igor Golovatenko, excellent tout au long du spectacle, timbre chaud et belle projection, trouve là une occasion supplémentaire de briller.
Ce deuxième tableau ressort d’autant plus que le premier, dont les airs sont si attendus, déçoit relativement. Le décor est joliment classique et astucieux, mais le chant de Rodolfo, interprété par Iván Ayón Rivas, se noie dans l’orchestre au moment justement où l’on voudrait tendre l’oreille. Mais le premier prix du concours Operalia 2021 se révèle pour le « O soave Fanciulla », dont les éclats montrent que, s’il se laissait dépasser par l’orchestre, ce n’était pas par manque de puissance. A partir de là, et notamment dans les scènes finales, son chant sera beaucoup plus assuré. On ressent une même première réserve pour la Mimi de Dinara Alieva, pilier du théâtre Bolchoï, qui s’appuie excessivement sur son vibrato, pour ensuite, notamment au dernier tableau, révéler un chant beaucoup plus nuancé. Le duo final de Rodolfo et Mimi, élan amoureux des ultimes retrouvailles, est même scotchant d’émotion.
Mimi (Dinara Alieva) © Damir Yousoupov
Une chose ne surprend ni ne déçoit à aucun moment : l’orchestre du théâtre Bolchoï sous la baguette de Tugan Sokhiev. La partition est magnifiquement interprétée, expressive sans tomber dans l’excès, sautillante dans les passages de camaraderie, scintillante dans les scènes d’amour, festive et tonitruante au deuxième acte. Chapeau !