Avec cinquante ans à son actif, le regietheater s’est fait de nombreux ennemis parmi le public habitué de l’opéra. On se plaint, on siffle, et on finit par ne plus acheter sa place quand on lit que tel grand méchant loup de la mise-en-scène s’attaquera à notre dernier opéra préféré. La nouvelle décennie sera-t-elle celle d’un retour aux sources pour l’opéra ?
Pour cette nouvelle production de l’Orfeo à l’Opéra comique, le parti pris de Pauline Bayle semble aller dans ce sens. La metteur-en-scène ne cache pas sa confiance en la musique de Monteverdi. Toujours fidèle au texte, elle porte d’elle-même l’action, et il n’est pas nécessaire d’y ajouter un sens caché pour réussir un spectacle. L’intention est louable, et garantit quelques moments de poésie scénique au moyen d’images sobres et sans ambages (surtout au V). Pour autant, cet Orfeo retour aux sources sans conservateurs ni additifs ne parvient pas à convaincre pleinement. Pris au tout premier degré, le livret de Striggio verse parfois dans le naïf, et ce ne sont pas des bouquets de fleurs en plastique, des barbes postiche et des costumes mi-raëliens, mi-Woodstock qui viendront à son secours. La direction d’acteurs est réduite au strict minimum, et agace parfois de minauderies ou d’embarras (I). Malgré un fondement juste et honnête, le spectacle apparaît en somme un peu sage et terne. Gageons que la très jeune Pauline Bayle saura nous offrir de belles choses dans des productions à venir.
© Stefan Brion
On sait la connaissance qu’a Jordi Savall de la partition de l’Orfeo. Cette soirée est l’occasion de se réjouir d’une partition à l’orchestration foisonnante, aux effets de timbre déroutants (les deux organettos âcres pour le monde des Enfers) et a l’énergie instrumentale vivifiante pour laquelle il faut rendre hommage aux musiciens du Concert des Nations.
A l’exception du rôle titre, il est difficile de se tailler une part de lion dans les rôles prévus par Monteverdi. Les scènes sont courtes, mais les chanteurs qui donnent immédiatement le meilleur d’eux-mêmes sont assurés de remporter la mise. Malgré son âge Furio Zanasi est un Apollo crédible et fort en voix. Le beau timbre de basse de Salvo Vitale convient à merveille à Plutone, en face duquel la Proserpina/Speranza de Marianne Beate Kielland nous paraît un peu en retrait. Des trois bergers nous retiendrons avant tout le timbre solaire de Victor Sordo Vicente, dont les aigus scintillants viennent nous chatouiller les oreilles. Luciana Mancini est une Euridice/Musica touchante et musicienne, quoiqu’un brin ankylosée. En dépit d’un rôle cantonné à dix petites minutes de musique (mais quelle musique !), Sara Mingardo bouleverse l’assemblée par sa Messaggiera d’une extrême sensibilité. La voix semble parfois fléchir, mais cette fragilité ne rend son récit de la mort d’Eurydice que plus crédible et vivant.
Chanteur maintenant habitué du rôle, Marc Mauillon arrive sur scène n’ayant plus rien à prouver. Il faut dire que tout est énoncé des les premières mesures du « Rosa del ciel », où l’on retrouve avec bonheur le grain si caractéristique de sa voix : métal robuste se pliant docilement au gré des exigences du texte et de la musique. Son « Possente spirto » est une réelle opération de séduction vocale, et les accès de rage du V montrent que l’on peut aussi donner de la voix quand on est historiquement informé ! Le vif succès de cette production auprès du public de la Salle Favart ce soir-là repose sans surprise sur cette prestation d’un opéra rendant hommage aux sources même du chant et de la musique.