Après une tournée européenne qui a commencé par Caen cet hiver, ce Monsieur de Pourceaugnac pose vraiment ses valises à Paris, au théâtre des Bouffes du Nord. Dans ce cadre volontairement ruiné, le décor s’intègre ici de façon troublante : transposé dans les années 50, ces immeubles parisiens décrépits semblent avoir toujours habité cette scène abandonnée et la magie est renforcée par la proximité immédiate des spectateurs avec la scène. La direction d’acteurs joue d’ailleurs clairement avec cet espace ouvert en faisant surgir les personnages à vélos depuis les gradins. Même si elle est parfois trop bruyante et excitée (lors de la première scène musicale notamment), c’est clairement ce qui nous a le plus séduit dans la mise-en-scène de Clément Hervieu-Léger : les musiciens habilement intégrés à jardin, les truculentes et bien costumées scènes du médecin ou de la gasconne qui révèlent le talent burlesque de Stéphane Facco, la perverse cruauté assumée du pharmacien… tous les personnages sont bien caractérisés et vivants, et la transposition fonctionne assez bien sans nécessairement se justifier. Du coté des acteurs, on louera évidemment le Pourceaugnac lunaire de Gilles Privat, l’Oronte coriace d’Alain Trétout et le Sbrigani virevoltant de Daniel San Pedro.
L’intérêt de cette œuvre est double : sorte de condensé sinistre des fourberies de Scapin où Molière enchaine ses caricatures de prédilection avec virtuosité (avocats, médecins et autres clichés régionaux), Lully lui donne une réplique souvent douce-amère dès l’ouverture qui en accentue la cruauté. Un pauvre provincial débarque à Paris pour un mariage arrangé et se voit l’objet de manigances de la part d’un ami de la promise pour le dissuader, lui et son futur beau-père, de consentir à cette union. Rien ne sera épargné au pauvre Pourceaugnac, pas même un lavement, qui inspire à Lully une musique paillarde qui tranche avec l’image traditionnelle du noble musicien du roi. Mais finalement, pas de compassion pour Pourceaugnac tourné en dérision et éjecté de la scène. Il faudra attendre la grenouille de Rameau pour qu’une victime émeuve vraiment la cour.
© Brigitte Enguérand
Coté musical, on est à la fête avec la dizaine de musiciens des Arts Florissants qui jouent avec entrain, justesse et une richesse harmonique de tous les instants, sous la direction de Paolo Zanzu. Même si, contrairement à ce qu’affirme le metteur en scène dans sa note de programme, les moments musicaux ne nous ont pas semblé insérés de façon si symbiotique avec le drame (à l’exception du chant des médecins qui vient avec beaucoup de naturel, leur sabir étant en soi une musique), les musiciens ont à cœur d’y participer pleinement et se comportent comme de vrais figurants. Pour le chant, on regrettera simplement que Claire Debono privilégie trop le formant de sa voix au détriment de la clarté d’une prononciation qui souffre de la proximité avec celle des acteurs. Cela lui permet néanmoins de jouir d’une présence très concrète, voire sombre, sur scène. A l’inverse, nous avons été charmés par la voix parfois hésitante mais chaleureuse et claire d’Erwin Aros. Lui et tous les autres sont des acteurs-chanteurs aguerris qui font de cette représentation un vrai plaisir, justifiant une venue sur Paris, en espérant qu’elle soit moins mouvementée que celle de M. de Pourceaugnac.