« A quand une opérette dont le livret serait signé par Éric Dupont-Moretti et la musique par Pascal Dusapin ? » interroge, dystopique, Philippe Forget, le directeur musical de Monsieur Choufleuri restera chez lui, à l’affiche du 20e Opéra des Landes (avec Pelléas et Mélisande). C’est que cette opérette-bouffe en un acte fut composée par Jacques Offenbach sur un livret du Duc de Morny, ministre et demi-frère de Napoléon III.
L’histoire d’un bourgeois parvenu – Choufleuri – qui organise une soirée privée en ses appartements pour impressionner le gotha parisien, sert de prétexte à une musique où l’inspiration mélodique se dispute à la satire musicale. La parodie d’opéra italien justifie à elle seule la renommée de la partition. Elle requiert aussi des chanteurs suffisamment aguerris pour surmonter une écriture qui tout en raillant Bellini n’en est pas moins périlleuse. Il s’agit de rivaliser avec Rubini, Tamburini et la Sontag, trois des meilleurs chanteurs de tous les temps. Le disque ne s’y est risqué en studio qu’une seule fois – Jean-Philippe Lafont, Charles Burles et Mady Mesplé dirigés par Manuel Rosenthal pour EMI. Olivier Tousis, le metteur en scène, fondateur et directeur artistique de l’Opéra des Landes, relève le défi avec brio. Le décor se satisfait de quelques sièges disposés sur une estrade que surmonte un échafaudage adossé au chevet de la Pandelle (une maison de maître du second empire dont la restauration s’imposerait). Ce dispositif astucieux aide à varier les entrées et sorties, au rez-de-chaussée ou à l’étage. A la manière d’une béchamel que l’on sent rapidement s’épaissir dans une casserole posée sur feu doux, la sauce a tôt fait de prendre. Les répliques sont balancées avec autant d’aplomb que de naturel. Le contours des personnages, toujours intelligibles malgré des conditions de plein air, se précise. Les rires fusent.
Hervé Hennequin (Choufleuri), Céline Laborie (Ernestine), Pierre-Emmanuel Roubet (Babylas) © Opéra des Landes
La présence du Chœur de l’Opera des Landes est un luxe appréciable pour une œuvre d’un format modeste. Au piano, Maurine Grais réussit à faire oublier l’absence d’orchestre.
En Peterman, Camille Humeau Artichaut compose un de ces valets de comédie comme les aime la tradition : stupide, insolent et raisonneur. Avec un tel tempérament, comment résister à la tentation d’en faire trop ?
Les trois premiers rôles sont aussi bons chanteurs que comédiens – la quadrature du cercle chez Offenbach. Hervé Hennequin compense par une présence écrasante un métal désormais patiné. Son Choufleuri, bouffi d’arrogance se pose en épigone de Falstaff. Il y a pire référence. Pierre-Emmanuel Roubet (Babylas) est un ténor léger à l’émission haute et déliée, aussi musical que musicien (il ajoute à ses cordes – vocales – l’accordéon et dans le boléro de Pedro, la guitare). Connue du grand public depuis une apparition aux Victoires de la musique, Céline Laborie (Ernestine) mène son petit monde à la baguette d’un soprano colorature qui, une fois échauffé, ne recule devant aucune des figures imposées par une partition pensée à la mesure de Lise Tautin, la créatrice d’Eurydice dans Orphée aux Enfers.
Le tiercé se serait avéré gagnant si l’on n’avait eu la mauvaise idée d’allonger la pièce – qui dans son intégralité, dialogues inclus, n’excède pas les soixante minutes ? Certes, c’est un peu court pour occuper une soirée mais n’existait-il pas d’autres moyens d’étoffer le programme plutôt que d’insérer avant le trio italien une série de numéros chantés, sans rapport avec la choucroute (fleurie) ? Les proposer en préambule par exemple. Si le procédé offre aux seconds rôles une mise en avant appréciable, si Céline Laborie y brille de mille feux – quelle Thérèse des Mamelles de Tiresias en perspective ! – Pierre-Emmanuel Roubet y consume des forces nécessaires pour ensuite affronter les cadences impossibles du trio italien. Surtout, le soufflé comique retombe aussi vite qu’il était monté. Le rire est une mécanique fragile, on le savait ; fallait-il nous le rappeler ?