Ce qui frappe l’oreille lorsque René Jacobs dirige la Missa Solemnis de Beethoven est son art de l’équilibre. Sans renier les ruptures – de tempo, de nuances, de style – structurant la partition, il donne de l’unité à une œuvre que d’aucuns qualifieraient de décousue.
L’unité vient d’abord des musiciens du Freiburger Barockorchester dont on apprécie l’homogénéité au sein des pupitres : les cordes en particulier font preuve d’une grande précision dans l’articulation et d’une vraie cohésion, ainsi que les cuivres, justes et résolus. Mais cet ensemble n’empêche pas l’émergence de voix solistes au sein de l’orchestre – les vents surtout, ponctuant le discours musical par de courts motifs, et bien sûr le violon d’Anna Katharina Schreiber, dense, assuré, dans le Benedictus.
René Jacobs trouve un équilibre subtil entre le son d’ensemble requis ici par Beethoven – son épaisseur, sa richesse, ses couleurs – et la recherche du détail. Le chef a la sagesse de renoncer aux grands effets et de se consacrer à une fidélité absolue à la partition : il a bien raison lorsque l’on connaît le travail d’exégète réalisé par le compositeur et l’incroyable précision de son écriture, où tout fait sens. On regrette ainsi que la deuxième partie du concert ait un peu perdu en énergie du côté de l’orchestre, qui ne retrouve toute sa vaillance qu’au cours de l’Agnus Dei.
Homogénéité également du côté du RIAS Kammerchor, irréprochable durant toute la soirée. Son placement relativement inhabituel en deux groupes face à face, de profil par rapport aux spectateurs, semble favoriser l’écoute entre les chanteurs et la fusion entre les voix. Plein de nuances, ne déméritant pas face à la complexité des fugues du Credo, il traverse le concert sans faillir.
Ainsi, il est dommage que les solistes aient été placés si loin à l’arrière-scène et semblent, par là-même, en retrait par rapport au chœur. Polina Pastirchak et Sophie Harmsen se révèlent engagées et assurées, et on regrette seulement que la voix de la première soit un peu détimbrée dans les piano. Le ténor Steve Davislim manque un peu de legato dans ses quelques solos mais s’intègre bien au quatuor complété par Johannes Weisser, un peu moins présent que ses collègues, mais prometteur dans l’introduction de l’Agnus Dei.
On ressort de ce concert avec le sentiment que tout était à sa juste place, et que rien n’aurait pu troubler le bon agencement des différentes parties ; manquait seulement un peu d’émotion, que le meilleur équilibre du monde ne saurait garantir.