On représente trop peu souvent La Petite Renarde Rusée pour ne pas courir à la Bastille découvrir ou redécouvrir ce chef d’œuvre de Leos Janacek. À l’entracte, c’est un bonheur d’entendre les spectateurs, surtout les jeunes, exprimer leur enthousiasme face à une œuvre de théâtre absolument merveilleuse, dont la musique n’a jamais semblé aussi proche de nous. C’est l’un des plus tendres et simplement bouleversants opéras de Janacek avec De la Maison des Morts. En cette époque si pessimiste, on a tant besoin de revenir aux sources de la vie, aux leçons que nous donne, si simplement et si crûment, cette nature qui nous entoure et qu’on ne sait plus regarder vivre, frémir. Cette nature qui nous apprend tous les jours ce que le philosophe espagnol Unamuno appelait « la paix dans la guerre », dans le roman du même nom où il observe la nature basque avec cet amour sans illusion qu’on lui connaît.
Et pourtant ce n’est sûrement pas la meilleure production de l’œuvre, même si la mise en scène d’André Engel a des vertus qui vont droit au cœur du public : une belle fraîcheur, une ingénuité sympathique, un côté bande dessinée ou livre pour enfants, de bon aloi. Le décor simple et les costumes sont ravissants (Nicky Rieti, Elisabeth Neumuller) dans de belles lumières d’André Diot. Mais ces mêmes vertus en réduisent, curieusement, la portée. Les animaux sont croqués et chorégraphiés avec beaucoup de talent et séduisent d’emblée mais ne touchent pas vraiment. Pourquoi ne sort-on pas de ce spectacle aussi bouleversé qu’en 1995 au Châtelet dans la sublime production de Nicholas Hytner chorégraphiée par Jean-Claude Galotta ?
Lors de cette soirée à l’Opéra Bastille on a vraiment eu l’impression que l’œuvre avait de la peine à prendre son envol. L’idée est belle pourtant de situer l’action sur un de ces chemins de fer qui nous ont tant fait rêver, enfants, puisqu’ils ouvraient la vie sur tous les espoirs et les possibles. C’est d’autant plus fort qu’il ne débouche, ici, que sur le butoir impitoyable de la réalité, dans la maison du garde-chasse. Mais la production dans son ensemble est trop illustrative et trop anecdotique pour se hisser au niveau de l’œuvre et de la musique. La scène finale, d’ordinaire si bouleversante en devient soudain banale.
À vrai dire, on se surprend souvent à écouter d’abord la rutilance de l’orchestre. Les musiciens de l’Opéra prennent un plaisir évident à jouer sous la baguette d’un chef merveilleux, Michael Schønwandt, avec lequel leur complicité est réjouissante. Quelle battue, quel contact avec le plateau et comme il sait porter les chanteurs (vertus rares aujourd’hui) ! Il mérite les applaudissements que les musiciens (et le public) lui réservent à la fin. Il est le principal artisan de la soirée.
Lui et aussi les deux Renards qui brûlent littéralement les planches. Ce sont elles qui, sur le plateau, donnent vie au spectacle. Hanna Esther Minutillo, en mari séduisant à souhait et la belle Adriana Kucerova dont la voix rayonne en permanence, avec ces aigus lumineux et timbrés et cette présence scénique époustouflante qui lui valent un gros succès public.
Nicolas Joël maintient, d’autre part, le cap en offrant aux spectateurs un plateau de belle tenue, constitué, en majorité, de très bons artistes français, Jean-Philippe Lafont en tête, qui croque goulûment le texte tchèque avec le talent de déclamateur qu’on lui connaît. On voudrait les nommer tous : Michèle Lagrange, Anne-Sophie Ducret, Gregory Reinhart (prêcheur justement sonore), etc. Mention spéciale pour Luca Lombardo, dans le rôle de l’instituteur. Une émission franche et sûre qui donne au personnage, qu’il sait rendre touchant, un réel impact vocal avec une ligne de chant que la prosodie tchèque ne brise jamais. Et aussi Paul Gay, dont la belle voix et le legato soigné apportent une réelle densité au personnage d’Harasta.