Pour sa neuvième édition, le Festival Palazzetto Bru Zane a réjoui les mélomanes parisiens tout au long du mois de juin avec, pour le répertoire vocal, un rare version de Phryné de Saint-Saëns à l’Opéra Comique ou encore La Vestale de Spontini dont la version de concert a enthousiasmé Christophe Rizoud au Théâtre des Champs-Élysées.
Le gala de clôture se tient ce soir dans la même salle avec un ambitieux programme de mélodies françaises méconnues, portées par sept solistes de grande classe accompagnés par l’Orchestre de chambre de Paris sous la direction survitaminée d’Hervé Niquet.
L’équipe du Palazzetto Bru Zane a d’abord redécouvert une série de mélodies avec orchestre, dans la lignée des Nuits d’été de Berlioz, en se penchant en 2015 sur le corpus méconnus de Camille Saint-Saëns. Ces airs ponctuent la soirée, mais c’est Massenet qui se taille la part du lion avec près de la moitié des partitions interprétées. Rien d’étonnant puisque sort ce mois-ci un disque de mélodies du compositeur, orchestrées par leurs soins.
« Le lied avec orchestre est une nécessité sociale ; s’il y en avait, on ne chanterait pas toujours dans les concerts des airs d’opéra qui y font souvent piteuse figure » écrit Saint-Saëns à Marie Jaëll, en 1876. Comme le souligne le programme de salle, « Au-delà de cette lutte contre la prédominance des airs lyriques, le projet artistique se mue en débat politique : il s’agit de redessiner l’Ars gallica à une époque où l’art allemand entreprend la conquête de l’Europe. L’orchestration de la mélodie fait alors l’objet d’une attention particulièrement minutieuse. La couleur orchestrale est au service du poème, généralement perçu comme prévalant à la musique : elle doit permettre au compositeur d’ajuster le vers sur la mélodie comme un joaillier monte une gemme. Deux écoles se développent parallèlement : celle des miniaturistes aux orchestrations économes (Massenet, Dubois, Saint-Saëns…) et celle des symphonistes aux ambitions plus sonores (Duparc, Jaëll, L. Boulanger…). »
L’Orchestre de chambre de Paris et son chef se régalent de ces contrastes, tour à tour discrets, subtils ou puissamment expressifs, ils restent toujours à l’écoute des solistes.
Aucune lassitude, donc, pour l’auditeur, car le programme est remarquablement construit, semé de pépites méconnues, avec une alternance d’airs pétris de charme, d’humour, de paysages brossés en clair-obscur voire de quelques incursions particulièrement émouvantes où s’impose le thème de la fuite du temps.
La distribution varie elle aussi constamment, donnant à chaque soliste – chanteur ou musicien – l’occasion de briller seul avant de multiplier les associations.
Les pièces proposées sont d’une indéniable qualité et même les textes les plus légers – évocations des fleurs ou du printemps – sont servies par un plaisir du dire, un sens de la narration qui évite toute fatigue. Véronique Gens brille par exemple dans « On dit » de Jules Massenet où elle donne la réplique au violoncelle si sensible de Xavier Phillips. Le musicien s’épanouit pleinement en dialoguant avec les vents dans l’Andante Cantabile de Théodore Dubois et plus encore dans les magnifiques « Erinnyes » de Jules Massenet où l’orchestre et lui font montre d’une délicatesse idéale.
La soprano affirme la même élégance dans le phrasé de ses « Roses d’Ispahan ». Elle compose avec Hélène Guilmette un duo complice, tout en nuances, aux vocalises parfaitement tuilées dans le très beau « El desdichado » de Camille saint-Saëns.
La chanteuse canadienne, quant à elle, rayonne dans l’évocation nocturne de « l’Angélus » scandé par une cloche en bourdon, toute en contraste avec une ligne mélodique sinueuse et sensuelle.
Habitée, elle chatoie de superbes couleurs, de graves jamais appuyés et d’un legato royal lorsqu’elle incarne ensuite les deux personnages de cet autre « Colloque sentimental », celui du « poète et du fantôme » de Jules Massenet. Le compositeur de Manon, de Werther se révèle décidément un formidable mélodiste, comme le prouve Tassis Christoyannis qui impose dès son premier air, « L’improvvisatore » son timbre généreux et mordant, sa présence gouailleuse, quasi dansante contrastant puissamment avec l’expressivité si juste et toute intérieure de « la chanson du pêcheur » de Gabriel Fauré. (Tout comme « les Roses d’Ispahan », il ne s’agit pas là d’une rareté, loin de là, mais quel plaisir que cette orchestration !)
Le baryton forme avec Julien Dran un duo de luxe dans « la Nuit » où s’épanouit la somptuosité orchestrale d’Ernest Chausson. Le jeune ténor s’avère un peu démonstratif dans son duo avec l’excellent pianiste Cédric Tiberghien, « l’Hymne d’amour » de Jules Massenet, plus affûté dans « Aimons-nous » de Camille Saint-Saëns où il dialogue cette fois avec la harpe flamboyante d’Emmanuel Ceysson.
Les Chansons des bois d’Amaranthe rassemblent enfin les solistes autour de Jules Massenet qui clôt la soirée d’un tutti final bissé pour permettre au public de repartir muni du viatique qui anime manifestement l’équipe artistique : chantez ! « chantez l’amour, chantez le plaisir ».