Créé en novembre 2018 (Paris, Maison de la Radio), repris à Maguelone puis à Sorèze cet été, Mediterraneo vient enflammer Dijon, avant Madrid, en janvier. Le temps d’un soir, entre deux représentations des Indes galantes, à Genève, Leonardo Garcia Alarcon et la fine fleur de sa Cappella Mediterranea renouvellent le récital populaire, au sens le plus noble, avec goût, élégance et séduction, comme ils l’avaient fait dans leur enregistrement « De vez en cuando la vida », dont ils reprennent l’essentiel. Le programme mêle les chansons de Joan Manuel Serrat à des pièces « classiques », de la Renaissance à Mompou, avec une large part faite au baroque. Figure emblématique de la liberté en Espagne et en Amérique latine, Joan Manuel Serrat est encore peu connu chez nous, bien que décoré de la Légion d’honneur. Ses textes, très personnels, à portée universelle, magnifiés par des mélodies ancrées dans le patrimoine méditerranéen, parlent à chacun, d’autant que le sur-titrage en français accompagne chacune des œuvres vocales de la soirée. Des éclairages renouvelés, mouvants, participent à leur caractère, également servis par la position, les déplacements et le jeu des chanteurs. Il en résulte une harmonieuse diversité, liée au renouvellement de la distribution, des styles, des lumières. Ainsi passe-t-on de l’intimisme de la Musica callada, de Mompou, (harpe et archiluth) à l’ample, riche et profonde polyphonie de Cabanilles, avec Mortale que amais. Les chansons et romances de Serrat, parfois en habits madrigalesques, ne se distinguent guère ici des œuvres anciennes, sinon par leur inspiration mélodique, que les puristes pourraient juger facile, mais dont on se délecte pour mieux en apprécier l’inspiration.
Maria Hinojosa et la Cappella Mediterranea © YB
Impossible de détailler le programme, riche de 14 pièces, parfois développées. Marianna Flores, plus épanouie que jamais, nous offre, seule, trois chansons de Serrat et deux touchantes mélodies baroques, dont le Romerico florido, de Mateo Romero. Son engagement, sa voix ample, puissante et chaude, ses qualités dramatiques fascinent l’auditoire. Maria Hinojosa, authentique chanteuse catalane, traduit à merveille l’esprit de deux splendides mélodies anonymes, dont la Chanson du voleur, sachant se faire rauque à l’occasion, et l’émouvant Pare, de Serrat. Valerio Contaldo abandonne ponctuellement Lurcanio et Orfeo pour nous gratifier d’un Esta vez, Cupidillo, savoureux, avec toutes les qualités qu’on lui connaît. Si Leandro Marziotte et Hugo Oliveira n’ont pas droit aux soli, leurs qualités d’émission, de projection, d’articulation et de phrasé sont à l’égal de celles de leurs complices. Avec la Bomba, grand madrigal dramatique, l’histoire qu’il illustre – du naufrage annoncé, avec son lot de noyades, au sauvetage miraculeux – permet une expression polyphonique extraordinaire, où chaque voix a sa personnalité. L’engagement de chacun, le bonheur que les chanteurs-acteurs éprouvent est communicatif. Mediterraneo, grand succès de Serrat, est aussi l’occasion de les réunir pour un bouquet final (qui sera repris en bis après Lucia).
L’unité profonde des instrumentistes et des voix est exemplaire. Les pièces de Serrat sont discrètement dirigées par Quito Gato – à la vihuela, à la guitare, et aux percussions ce soir – qui en signe les arrangements. Les autres le sont par Leonardo García Alarcón depuis le positif. Il faudrait citer chaque musicien tant leur jeu est confondant : le bonheur partagé est communicatif. La flûte, la harpe, le violoncelle et la viole de gambe, la guitare et l’archiluth de Monica Pustilnik, les violons, la contrebasse, tous sont également admirables. Le public est conquis : rarement les acclamations auront été aussi unanimes, soutenues et méritées. Une soirée mémorable.