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Médée — Berlin (Staatsoper)

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Spectacle
25 octobre 2018
Famille, je vous hais…

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Opéra-comique en trois actes

Composé par Luigi Cherubini

Livret de François-Benoît Hofman

Création à Paris (Théâtre Feydeau) le 13 mars 1797

(Version française)

Détails

Mise en scène

Andrea Breth

Décors

Martin Zehetgruber

Costumes

Carla Teti

Eclairages

Olaf Freese

Médée

Sonya Yoncheva

Jason

Charles Castronovo

Créon

Iain Paterson

Dircé

Elsa Dreisig

Néris

Marine Prudenskaya

Les deux suivantes

Sarah Aristidou et Corinna Scheurle

Staatsopernchor

Staatskapelle Berlin

Direction musicale

Daniel Barenboïm

Staatsoper Unter den Linden, jeudi 25 octobre 2018, 19h30

Il y a déjà eu tant et tant de versions de Médée ou de Medea au cours des temps (en français, en italien, avec des récitatifs parlés, chantés, traduits, retraduits…), qu’on ne pensait pas possible d’en ajouter une nouvelle. Et pourtant le Staatsoper Unter den Linden l’a fait, ou plutôt Andrea Breth nous l’a proposé dans cette nouvelle production berlinoise.

Initialement, le choix de la régisseuse s’est courageusement porté sur la version originale de 1797, soit avec des récitatifs français et déclamés en alexandrins, mais en faisant le choix, que d’aucuns pourront contester mais qui en fait son originalité, de procéder à de nombreuses coupes dans des dialogues qui, dans la version originale, rallongeaient passablement la pièce et surtout en ralentissaient terriblement le déroulé.


Acte I ©Bernd Uhlig

Choix courageux et inédit, donc, et qui, de ce point de vue, s’est avéré gagnant. Dans une distribution où il n’y avait qu’une seule francophone, le risque était pourtant grand, si la diction avait été par trop approximative, de rendre peu intelligible le texte et de ce fait peu crédible les échanges, mais chacun des protagonistes a dans l’ensemble fait justice aux vers de François-Benoît Hoffman, qui pour certains sont d’une réelle noblesse.

En réalité, à lire les parties des récitatifs biffées, on comprend bien le choix d’Andrea Breth de ramasser l’action, plus encore que ne l’avait fait Hoffman par rapport à la pièce d’Euripide, de telle sorte de nous entraîner dans un processus maléfique, irréversible et haletant.

C’est que Breth, pour impliquer son spectateur, et peut-être choquer son bourgeois (le Regietheater n’est décidément jamais loin Outre-Rhin !), fait le choix de transposer l’action au 21èmesiècle et de réduire une action aux ressorts à l’origine aussi multiples que complexes, à une pâle copie de « Familles je vous hais », revu et corrigé façon « Loft story ». C’est réducteur peut-être, mais théâtralement fort efficace.

Dès le lever de rideau, les choses s’annoncent mal pour Dircé qui se débat comme une diablesse, forcée, contrainte, violentée par ses deux suivantes, qui veulent lui faire revêtir son habit de noce (le même qui causera sa mort au III)… Il n’est plus de mariage heureux, vous dis-je ! Lorsque Jason paraît, exaspéré que Dircé soit si peu encline à se coltiner ses enfants d’un premier lit, il s’en va lutiner une de ses servantes sous les yeux de sa promise…

L’arrivée de Médée n’arrange rien et nous voilà en plein drame de famille recomposée; Médée s’efforce de reconquérir son ex, n’y parvenant pas le gifle, le brutalise et violente même sa virilité, avant de l’embrasser à pleine bouche ! La rouerie de Médée la poussera également à tenter de faire fléchir Créon en le séduisant, ce qu’elle parvient presque à faire.

En situant l’action dans un sordide entrepôt, où arrivera, livrée dans un caisson, la fameuse Toison d’or, la régisseuse insiste lourdement sur la brutalité du matérialisme de notre époque, le nivellement des valeurs, le relativisme régnant, où toute divinité est réduite à néant (dans son air « Dieux tutélaires », Créon s’adressera aux… employés de l’entrepôt) et où l’autel nuptial n’est autre qu’un empilement de caissons (le sacré déclassé par la marchandise…). Lors de la première, début octobre, Andrea Breth avait été copieusement huée. Sa vision aura certainement pu choquer, elle a toutefois permis de présenter avec une réelle réussite une œuvre sous le jour d’une modernité qui, c’est vrai, ne s’imposait pas a priori

Daniel Barenboïm, maître de céans, dirige avec une majesté, une aisance et, disons-le simplement, une réussite admirable sa Staatskapelle. Il alterne les rythmes classiques ou wébériens (l’ouverture) de telle sorte que semblent gommées les pages moins réussies de la partition. Les cordes sont délicates, les vents délicieux (joli solo de basson), l’ensemble est cohérent. Heureux homme venu se montrer au milieu de son orchestre, sur scène, au moment des saluts.

La distribution est indiscutablement dominée par une Sonya Yoncheva superlative ce soir-là. Son apparition au milieu du premier acte se fait en douceur puisqu’elle débute par un assez long récitatif parlé bien maîtrisé. Puis, lorsque, subrepticement, elle bascule dans le chant, un frisson parcourt les travées : la voix est d’emblée féline, ambrée, moirée avec une palette de nuances jusqu’au forte qui ne faiblira pas tout au long d’une partition qu’on a pu penser injouable tant elle est longue et exigeante. Elle a réussi ce pari d’imposer sa propre vision, aidée en cela par Andrea Breth, celle d’une Médée charnelle, mutine, diablesse, qui est une alternative crédible à l’autre Médée, la Medea de Callas. Décidément la Yoncheva déroule un parcours impressionnant et elle accroche là un formidable trophée à son palmarès.

Nous retrouvons avec plaisir Charles Castronovo que nous avions apprécié l’été dernier en Alfredo à Munich (il tiendra ce rôle en décembre à Paris). Le timbre est toujours aussi agréable, il joue des nuances au I avec intelligence et son duo/duel avec Médée restera un des moments forts de la soirée. Nous le découvrons aussi bel acteur, crédible en père dépassé, amant déconfit et fiancé finalement indécis.

Le Créon de Iain Paterson est doté d’une basse chantante à souhait, qui sait lui aussi fort bien jouer de la nuance ou donner de la puissance quand nécessaire. 

Elsa Dreisig était attendue dans ce rôle court mais, au final, diablement compliqué de Dircé. Son air « Hymen, viens dissiper une vaine frayeur » est un plongeon dans un bain d’eau froide, dont la moindre de ses difficultés n’est pas d’apparaître en tout début de rôle, nécessitant une maîtrise immédiate et parfaite pour se déjouer des multiples et redoutables entrelacs d’un air qui n’en finit pas. La voix d’Elsa Dreisig est prometteuse, d’une belle fraîcheur ; elle n’avait toutefois pas ce soir-là l’aisance que nous lui connaissons habituellement. Mention particulière pour Marina Prudenskaya, Néris parfaite de discrétion, d’abnégation, mais capable de faire entendre sa belle musicalité dans son unique air au II (« Ah ! Nos peines seront communes »).

C’est en somme une production qu’il faudra retenir, autant par la nouvelle lecture qu’en propose Andrea Breth que par une distribution de haut vol.

 

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