La onzième Biennale Massenet touche à sa fin, et même s’il reste encore à venir un ultime concert, qu’on entendra également à Paris, il est sans doute possible d’esquisser un premier bilan de cette manifestation qui, une fois n’est pas coutume, s’est un peu fait attendre, sa dernière édition remontant à il y a non pas deux, mais trois ans (l’Opéra-Théâtre de Saint-Etienne a traversé quelques turbulences, et il a été sagement jugé préférable d’attendre 2012 pour coïncider avec le centenaire de la mort du compositeur. On pourrait certes regretter que la production scénique présentée cette année n’ait pas été une nouveauté absolue, mais la Cendrillon montée par Benjamin Lazar est un tel bijou qu’il faudrait vraiment être de mauvaise foi pour se plaindre de l’avoir revue. En matière de découverte, Le Mage est la révélation attendue, et une autre surprise se prépare pour le concert autour de Thaïs à venir le mois prochain, mais nous en reparlerons. La soirée « Aimez-vous Massenet ? » qui réunissait notamment les extraits les plus connus de Manon, de Werther s’imposait peut-être de façon moins évidente. Mais en programmant un concert de mélodies, la Biennale remplit pleinement son rôle : des mélodies de Massenet, nous avons pu en entendre tout au long de cette année, tantôt par des artistes ayant déjà une longue carrière derrière eux (François Le Roux à la BNF), tantôt par des débutants excellents mais encore inexperts (l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris). A Saint-Etienne, ce sont deux chanteurs en pleine possession de leurs moyens qui ont été choisis pour l’occasion, et l’on ne peut qu’approuver le choix de réunir deux voix pour éviter toute monotonie : sur les quelque deux cent soixante mélodies qu’a laissées Massenet, toutes ne sont pas des chefs-d’œuvre, évidemment, les textes sont rarement impérissables, on le sait, et l’alternance de deux timbres, trop rarement en duo, hélas, est tout à fait appréciable.
Appréciable, cette idée l’est d’autant plus qu’elle permet d’entendre la soprano Ingrid Perruche, qui semble s’être quasiment spécialisée ces derniers temps dans la musique de Lully en particulier, sous la direction de Christophe Rousset (Bellérophon, Phaéton) ou de William Christie (Atys à New York). Cela ne doit pas faire oublier son intérêt pour la mélodie française, ou elle trouve l’occasion de déployer les qualités qu’on admire chez l’interprète d’opéras baroques, notamment une réelle aisance de comédienne, indispensable pour ces étranges « mélodies parlées » que Massenet composa tout au long de sa carrière, et pas seulement dans les fameuses Expressions lyriques conçues à la fin de sa vie pour Lucy Arbell. Dès le Poème d’avril, son premier grand cycle, remontant au début des années 1872, il fait parfois déclamer le texte au lieu de le faire chanter, et Ingrid Perruche se tire brillamment de « Riez-vous ? Ne riez-vous pas ? », exclusivement parlée (comme plusieurs fois au cours de cette soirée, la partie de piano s’avère la plus substantielle, et l’on a plaisir a y entendre Laurent Touche, qui est un peu l’homme à tout – bien – faire à Saint-Etienne, à la fois directeur du chœur, chef d’orchestre pour Cendrillon en octobre, et ici accompagnateur délicat). Ce concert permet aussi à Ingrid Perruche d’interpréter quelques-unes des mélodies les plus connues, ou les moins méconnues de Massenet, comme la fameuse « Elégie », comme le « Nuit d’Espagne » qui reprend une des Pièces pittoresques. La soprano le privilège de chanter l’une des mélodies pour lesquelles Massenet délaisse ses chers poètes de second ordre (Armand Silvestre, Paul Robiquet et consorts) pour mettre Victor Hugo en musique : « Guitare » est un rare exemple où le texte est à la hauteur de la partition.
A ses côtés, le baryton belge Lionel Lhote fait valoir une grande et belle voix, dans une optique résolument opératique, mais tout en préservant les grandes qualités de diction qui sont les siennes. On admire ainsi son articulation et sa vélocité dans « L’Improvisateur », mélodie italienne qui rappelle le Berlioz de Benvenuto Cellini. Lui reviennent aussi quelques-uns de ces pastiches néo-XVIIIe siècle dont Massenet était coutumier, « Musette » ou « A Colombine ». Il se montre aussi convaincant dans les mélodies où il dialogue avec sa partenaire, comme « Le Poète et le fantôme », où Ingrid Perruche en coulisse répond, spectrale, aux interrogations de la voix principale. L’exécution intégrale du Poème d’avril, partagé entre le baryton et la soprano, rend parfaitement justice au génie du jeune Massenet, et l’on goûte avec « Horace et Lydie » un très beau texte qui se prête naturellement au duo (Alfred de Musset a conçu ce poème comme un dialogue) et dont le compositeur a su tirer une authentique scène d’opéra, magnifique conclusion de ce concert. Le public ayant exigé un bis, les deux chanteurs proposent un second duo, « Les Fleurs », hélas moins inspiré que le précédent. Qu’importe, l’essentiel est d’avoir prouvé qu’il y a largement de quoi composer une bonne soirée de mélodies en puisant dans le catalogue massenétien.