Le Bayerische Staatsoper a beaucoup misé sur cette nouvelle production de Tosca (en coproduction avec la Scala et le MET où elle a déjà été donnée) : trois banderoles, sur lesquelles sont inscrites des « Mario », ornent la belle façade du Nationaltheater munichois. Et cela est compréhensible lorsque l’on sait que le Mario en question est incarné par le munichois Jonas Kaufmann !
C’est peu dire que le ténor domine le plateau. Ce chanteur est décidément prodigieux et impressionne par la totale maîtrise de son instrument : art des nuances, des mezza voce, longueur du souffle, aigus rayonnants à quoi il faut ajouter une musicalité confondante, un charisme extraordinaire et une puissance dramatique intense. Certes, l’on peut préférer une voix plus latine pour ce répertoire, mais le chanteur a l’intelligence d’éclaircir son timbre et de lui donner plus d’italianita, ce qui est fort bienvenu.
Face à lui, on retrouve cette admirable artiste qu’est Karita Mattila. La voix est toujours aussi belle, avec cette matité typique des voix scandinaves, tandis que le chant est particulièrement soigné, presque instrumental par moments, et la musicalité impeccable. Si la chanteuse semble se régaler de ses beaux graves poitrinés, elle semble plus en difficulté avec la tessiture exigeante du rôle, notamment certains aigus qui se sont avérés tendus sinon bas. On n’est ainsi pas tout à fait convaincu à l’issue de la soirée que le rôle soit fait pour ce type de voix, même si l’artiste reste très attachante.
Déception totale par contre pour le Scarpia de Juha Uusitalo. Timbre banal sinon laid dans le registre aigu tout en force, voix qui semble déjà usée, maltraitance de la ligne de chant, monolithisme de l’incarnation (il n’est certes pas aidé par la mise en scène). À oublier. Où sont les Gobbi et Milnes qui savaient révéler toute la richesse de ce personnage qui n’est pas qu’un sadique mais aussi un aristocrate et un homme distingué ?
Les seconds rôles sont inégaux. L’Angelotti de Christian Van Horn se montre superbe. Avec une belle voix corsée et sonore, il donne une réelle consistance à son personnage. En revanche, le sacristain d’Enrico Fissore se présente sous un jour moins avantageux : voix en lambeaux et aboiements incessants. A la limite du supportable ! Le Spoletta de Kevin Conners est assez passe partout mais finalement, cela convient bien au personnage.
Chœur superbe comme de coutume. Celui, féminin, qui accompagne Tosca dans la cantate chantée depuis les coulisses est à se damner.
L’orchestre est également de très haute tenue avec notamment une superbe clarinette introduisant « E lucevan le stelle » tout comme les cors qui ouvrent le troisième acte (nous sommes en Bavière !).
Fabio Luisi dirige l’ensemble tantôt avec une certaine poésie, tantôt avec efficacité dramatique. La fin du deuxième acte, extrêmement lente et mystérieuse est ainsi superbe, mais de tels moments sont assez isolés et l’on n’est pas totalement convaincu par une lecture qui s’avère finalement sans grand relief.
Sans grand relief également la mise en scène de Luc Bondy qui est pour le coup très décevante. On a connu cet artiste bien plus inspiré et surtout concerné car tout, ici, semble se dérouler dans une certaine indifférence. Seule la direction d’acteurs révèle quelques détails intéressants comme l’amitié virile entre Mario et Angelotti ou l’agacement de Mario envers Tosca au premier acte. Mais alors, pourquoi confier un secret d’une si grande importance (la cachette d’Angelotti) à une femme qui paraît aussi futile ? Car cette Tosca manque cruellement de classe. Elle n’est que femme jalouse et pinailleuse. Le comble du ridicule est atteint quand l’énervement est traduit par des poings serrés et remuants devant Scarpia ou par les coups de pieds donnés aux soldats à la fin du troisième acte (avec, en plus, les soldats qui tombent !).
Manque cruel de classe aussi chez Scarpia dont la conception est pour le moins limitée. Entouré de prostituées au début du deuxième acte, grossier, presque continuellement violent, il est qu’un bloc de vice et de sadisme. Tout cela est très mode et vraiment d’une conception exiguë qui rend le deuxième acte peu passionnant.
Seul Mario se révèle un personnage intéressant : moins artiste qu’intrigant politique. Mais du coup, on a du mal à croire qu’il s’extasie devant la beauté du ciel romain au troisième acte… L’aspect romantique mais aussi inconséquent et impulsif du personnage passe à la trappe, ce qui est un peu en délicatesse avec le livret.
Autre défaut majeur de cette production, un surlignage de certains éléments qui vire au grotesque, comme cette porte de la chambre de torture de Scarpia tâchée de sang, Tosca poignardant à trois reprises Scarpia ou les soldats répétant l’exécution de Mario durant tout le début du troisième acte…
Des incohérences parsèment aussi cette vision, comme ces chaises pliantes dans l’église ( !), la peinture de Mario représentant Marie Madeleine (dont la pose est on ne peut plus « profane ») se trouvant sur un chevalet que l’on sort à la fin de l’acte (pourquoi ne la peint-il pas dans son atelier s’il s’agit d’une toile et non d’une fresque !?) ou encore Tosca assassinant Scarpia toutes fenêtres ouvertes et s’éventant sur le canapé ensuite…
Les décors participent à la monotonie de l’ensemble : ni laids, ni beau, passe partout et sans relief…
Mario, Mario, Mario ! Heureusement que tu étais là !