La vision est saisissante. Une fois l’orchestre en place et l’ouverture du Signor Bruschino débitée en tranches, Maria Callas fait son entrée telle une apparition. Elle n’entre pas d’ailleurs, elle glisse ou plutôt elle glisserait à la manière des créatures de Mars Attacks si le bruit de ses talons sur les planches de la salle Pleyel ne contredisait cette impression. Une Maria Callas lookée 1958, chignon banane et robe longue blanche telle que la retransmission télévisée du concert du Palais Garnier en présence du gotha parisien l’a pour toujours gravée dans nos mémoires. Les enregistrements sont nombreux mais les images sont rares. La société Base Hologram a réussi l’exploit d’engendrer une Divine virtuelle à partir de peu d’informations. On n’en saura pas plus sur les techniques de fabrication d’un clonage proche de la perfection. Le secret est paraît-il mieux gardé que le code nucléaire de la Corée du Nord.
Si l’on veut apprécier pleinement ce prodige technologique, mieux vaut être placé dans les premiers rangs où se munir de jumelles pour observer les expressions du visage et le mouvement de la bouche en exacte correspondance avec chaque mot. De part et d’autre de la cantatrice dématérialisée, l’orchestre en chair et en os, une soixantaine de musiciens au total. Ni chœurs, ni partenaires en revanche. Leur absence prive les scènes les plus dramatiques de leurs indispensables répliques. La synchronisation musicale est un exercice de haute voltige sans un seul raté. La direction métronomique de Eimear Noone assure une coordination parfaite.
Le son en revanche laisse à désirer. L’habitué des salles de concert, dont la tolérance acoustique est inversement proportionnelle à celle de l’actuelle municipalité de Paris en termes de propreté, doit accepter l’amplification des instruments, inévitable pour réduire le déséquilibre avec la voix gravée sur bande à partir d’enregistrements différents, et donc soumise aux aléas qualitatifs des micros de l’époque. Question de fréquence, la technique n’a pu empêcher les notes les plus graves d’être gommées, dans Macbeth et Gioconda. A l’inverse, subsistent dans « Casta Diva » des bribes d’interventions du chœur. Une fraction de seconde suffit à dissiper un envoûtement sonore très relatif. Heureusement pour les collectionneurs, un album édité spécialement par Warner réunit la version originale des airs interprétés dans un ordre légèrement différent.
La satisfaction est d’abord visuelle avec des gestes et des effets sans cesse renouvelés. Les cartes de Carmen, la lettre de Lady Macbeth ou le flacon de poison de Gioconda simulé par la position des mains, la rose rouge qu’attrape Maria Callas en un amusant tour de passe-passe : multiples sont les occasions de s’ébahir devant cette prestidigitation virtuelle.
© Evan Agostini / Base Hologram
L’interaction avec le réel est moins évidente. Les applaudissements, mesurés, ne sont pas à la mesure des saluts de la chanteuse. On comprend la tiédeur du public face à une image, certes parfaite mais incapable de ressentir à travers la ferveur d’une ovation, l’amour, la gratitude, l’admiration, ces sentiments que l’on exprime en tapant des mains, en criant, et que l’on offre à l’artiste qui les a suscités. Inutile d’insister puisque le procédé n’offre pas de place à l’inattendu. Le nombre de rappels est connu d’avance. A défaut, on bafoue allègrement les règles du savoir-écouter ensemble. A la technique répond la technique. Smartphone en mains, on filme, on prend des photos que l’on partage instantanément sur les réseaux sociaux. On en profite : pas de danger que la diva fasse un caprice et s’arrête de chanter pour rabrouer les spectateurs indisciplinés.
L’expérience, courte –1h30 sans l’entracte –, vaut-elle la peine d’être tentée ? Une fois oui, deux peut-être pas (avant Lyon, le 1er décembre, une nouvelle représentation est prévue salle Pleyel vendredi prochain, 30 novembre). L’effet de suprise passé, on pourrait trouver le temps long. Pour d’évidentes raisons sonores, le procédé convient mieux au rock ou à la variété qu’au classique. Amy Winehouse est d’ailleurs sur la liste d’attente. L’hologramme de Maria Callas disparaît dans un écran de fumée mais ce sont la cheffe et les musiciens que l’applaudimètre consacre. En un juste retour des choses, le réel l’emporte sur le virtuel. L’humanité pour cette fois est sauvée.